Rencontre
Les Ambassadeurs du Pain : au service de la nutrition et de la transmission
Depuis vingt ans, les Ambassadeurs du Pain contribuent à faire évoluer les techniques boulangères en favorisant les échanges entre pairs et la transmission des savoir-faire. Dominique Planchot, président et membre fondateur de l’association, a délaissé son fournil le temps de dresser le bilan…
Vous allez fêter les 20 ans de votre association. Pouvez-vous nous dresser un bilan de vos activités et nous rappeler votre vocation première ?
L’axe fondamental et fondateur de notre association, née de l’ambition de dix membres fondateurs, était "le goût et la nutrition grâce à la transmission du savoir-faire".
L’idée d’un concours international bisannuel, que nous avons baptisé le Mondial du Pain, a tout de suite émergé. Nous avons lancé cette compétition lors du Sirha à Lyon il y a vingt ans et nous avons eu la vocation de la développer à l’international. Cela nous a amenés à fédérer des boulangers du monde entier qui partageaient ces mêmes valeurs.
À la suite logique de cet événement, nous avons lancé le "BEST OF Mondial du Pain", qui a lieu les années intermédiaires du Mondial. Nous sélectionnons les 6 meilleurs candidats et nous exportons ce concours dans d’autres pays pour permettre à la délégation organisatrice de partager sa vitrine professionnelle et les nouvelles tendances du métier.
De fil en aiguille, nous avons fait évoluer notre réflexion sur le partage des savoir-faire en multipliant les conférences techniques lors desquelles les idées de boulangers du monde entier viennent nourrir nos réflexions, faire évoluer nos pratiques. On s’est alors mis à éditer des livres pour compiler les recettes les plus novatrices.
"Nous n’avons pas l’ambition de devenir une très grande association mais elle s’avère très puissante, riche de sa diversité et d’un collectif qui reste dans un ancrage artisanal même si ce terme n’a pas la même résonance à travers le monde qu’en France."
Aujourd’hui, nous comptons 400 boulangers adhérents dans 26 pays, dont 14 délégations. Ces délégations – des collectifs de boulangers – ont vocation à promouvoir le Mondial du Pain, organiser les sélections de candidats et proposer des journées techniques aux professionnels.
Vous préparez actuellement la 10e édition du Mondial du Pain. Qu’est-ce qui distingue ce concours des autres ?
Cette compétition est ouverte à tous les professionnels. Ils sont sélectionnés d’abord à des échelons régionaux puis nationaux. Dans certains pays, comme en Chine, il y a 8 sélections régionales soit 80 candidats à départager !
En France, la présélection a eu lieu lors du Smarht de Toulouse, fin janvier 2024, et le prochain Mondial du Pain sera organisé à l’occasion du Serbotel à Nantes, en octobre 2025.
Ce qui rend ce concours unique, c’est qu’il met en lumière la pluridisciplinarité des professionnels de la boulangerie et fait avancer nos pratiques.
Sur deux jours et 11 heures d’épreuve (2 heures de préparation la veille et 9 heures le jour J), il se répartit en 4 axes :
- la baguette/le pain/le pain nutritionnel : les candidats doivent s’appuyer sur la méthode que nous avons conceptualisée et appelée « RESPECTUS PANIS® », qu’ils doivent maîtriser voire améliorer ;
- la viennoiserie, avec à la fois la recherche d’excellence et la quête d’une commercialisation efficace (facile à transporter, à déguster…) ;
- le volet artistique autour d’une pièce confectionnée sur place (dont le thème de la prochaine édition n’a pas encore été dévoilé) qui prouve que la boulangerie peut aussi être de l’art ;
- la restauration boulangère (ou snacking), lors duquel un sandwich équilibré qui prend en compte les valeurs nutritionnelles et les tendances du moment doit être proposé.
Les 21 équipes en lice sont composées d’un chef et d’un commis, un peu sur le principe du Bocuse d’Or : l’idée est aussi de valoriser la transmission de l’excellence d’un chef auprès d’un jeune de moins de 23 ans. Ce sens de la pédagogie et du partage rentre également dans la notation finale.
Qu’en retirez-vous professionnellement parlant ?
Les sujets du concours sont très motivants et stimulent toute la profession sur des thèmes novateurs comme la valeur nutritionnelle du pain ou la restauration boulangère.
En mettant une amélioration de sujet en balance (réduction du taux de sel, travail avec des farines peu connues…), les candidats s’approprient totalement le sujet et vont souvent au-delà de nos attentes.
Par la suite, nous nous nourrissons de toutes ces pratiques, de toutes leurs idées…
Par exemple, nous avons découvert que, dans certains pays africains, l’utilisation de la poudre de baobab apportait une valeur nutritionnelle au pain et une qualité plastique à la pâte incomparables. Dans les pays asiatiques, ils emploient des farines spécifiques qui font des pains de mie moelleux et un empois très typique. Les Péruviens ont accès à des céréales, désormais démocratisés comme le quinoa, que nous avons tout intérêt à utiliser dans nos pains…
À travers votre méthode RESPECTUS PANIS®, vous rappelez aux professionnels que l’on peut être sensible aux fondamentaux de la panification, tout en s'inscrivant dans une logique moderne, durable et responsable…
Cette méthode de panification a vu le jour en 2015 à la suite d’un constat : un mélange farine, eau, sel et levain permet un travail naturel des enzymes de la farine et de faire des ponts de liaison de la pâte.
Cette méthode se caractérise également par un temps de pétrissage lent et court, ce qui donne un pain plus digeste puisque le gluten reste enchâssé dans l’amidon. Un avantage qui a été reconnu par des nutritionnistes !
Ne travailler que des farines natives, sans ajout de gluten, développe également une fermentation qui améliore l’indice glycémique du pain et permet de réduire le taux de sel utilisé.
Cette méthode qu’on a adaptée aux farines d’aujourd’hui (souvent riches en protéines du fait de la culture intensive) a donné des perspectives à nos jeunes et à nos artisans, et ce dans le monde entier puisque nos délégations internationales l’enseignent.
Le respect du produit et la réduction de sel permettent aussi de travailler à température ambiante (autour de 18°C) et donc de consommer moins d’énergie (en réduisant le nombre de chambres de pousse par exemple).
"Le RESPECTUS PANIS® est une démarche à la fois professionnelle et personnelle. L’artisan qui veut s’en emparer peut se l’approprier totalement ou seulement pour une partie de sa production."
Pour la faire connaître, nous organisons régulièrement des journées techniques ouvertes à tous dans la France entière. Nous ne sommes pas un club sélectif !
Nous avons aussi compilé dans nos ouvrages "RESPECTUS PANIS® I et II" toutes les recherches que nous avons menées sur les céréales (critères nutritionnels propres à chaque graine pour que chacun puisse construire sa recette), le fruit du travail de l’ensemble de nos concours, une quarantaine de recettes utilisant cette méthode et utiles pour bâtir une offre de restauration boulangère.
Cette méthode a été aussi déployée à travers le monde par le biais de nos délégations internationales.
Cette méthode n’a-t-elle pas vocation à être enseignée naturellement dans tous les CAP boulanger ?
C’est un vrai débat ! J’ai encore échangé récemment sur ce sujet avec Dominique Anract, le président de la CNBPF, avec qui nous collaborons sur l’évolution nutritionnelle du pain. Aujourd’hui, ce n’est pas au programme du CAP mais ça le devrait.
En fait, cette méthode en a un peu perturbé certains. Elle prouve que faire du pain avec une farine pure fonctionne, que le fait d’utiliser seulement 4-5g de levain par kilo de farine (contre 300g parfois !) aussi…
"Très souvent, les enseignants prennent l’initiative hors programme d’expliquer cette méthode. Et il arrive que, dans les concours, on demande aux candidats de faire un 'pain nutritionnel'. Cela prouve que nos idées infusent."
Changer un référentiel prend une dizaine d’années donc la route est encore longue.
Cette méthode permet notamment de réduire le sel dans le pain, même au-delà des préconisations du Plan National de Nutrition Santé. Pouvez-vous partager certaines de vos astuces ?
Nous souhaitons absolument obtenir l’allégation "réduit en sel" car nous avons réussi à atteindre le taux de 13g de sel/kg de farine. L’allégation est importante pour emmener les artisans, leurs collaborateurs et leur équipe de vente, et qu’ils aient le bon argumentaire pour faire découvrir ces produits à leurs clients.
La réduction du sel est facile à envisager avec la méthode RESPECTUS PANIS® pour trois raisons :
- il n’y a pas d’oxydation de la pâte car le pétrissage est réduit à un simple mélange ;
- la fermentation est longue donc cela développe naturellement des arômes complexes et permet la dégradation des amidons sur le temps et à température ambiante ; les enzymes travaillent…
- nous préconisons un minimum de levain désormais pour avoir un pH inférieur à 5.
À force d’expérimentations, j’en suis arrivé à la conclusion qu’à 13g de sel, on développe des arômes différents dans le pain. À 18g, le taux "classique", le sel est un frein pour la fermentation. Certes on a moins de ténacité aux protéines mais une autre fermentation s’installe et assure la fraîcheur de mie et une meilleure conservation du produit. En tout cas, on ne sent pas la réduction du sel au moment de la dégustation.
Nous travaillons en ce moment avec la CNBPF pour avoir un décret qui légifère sur les pains nutritionnels, même eux étaient surpris quand on leur a annoncé qu’à 13 g il était possible de faire du très bon pain. D’autres pays nous ont déjà précédés sur cette réduction, comme le Portugal.
Plus d'infos : ambassadeursdupain.com