Interview exclusive
Dominique Anract : "L’avenir de la boulangerie, c’est la qualité"
La CNBPF, la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française, a dévoilé fin juin les résultats de sa première grande consultation qui avait pour but d’imaginer l’évolution du métier. 140.000 votes, 750 propositions… : après le décompte, place à l’analyse avec le patron des boulangers français, Dominique Anract.
Pourquoi avoir lancé cette consultation aujourd’hui ? Quels en étaient les enjeux ?
Nous venons de traverser des époques très compliquées entre le Covid, la guerre en Ukraine, la montée des prix des matières premières (farine, œufs, beurre, sucre…) et de l’énergie…, lors desquelles la boulangerie a quand même été très résiliente. Au cours de l’année, deux sondages Ifop nous ont donné beaucoup d’informations sur les boulangers et les consommateurs mais nous avons voulu aller encore plus loin.
La boulangerie évolue avec la mondialisation, l’industrialisation, l’arrivée des chaînes, beaucoup de gens qui se mettent à faire du pain… Avec cette très grande consultation, nous avons voulu savoir vers quoi tend la boulangerie, ce qu’attendent les consommateurs et ce que nous voulions faire pour nos métiers. Nous avons quand même 12 millions de clients quotidiens, un chiffre sans égal à travers le monde !
Nous désirions aussi avoir le retour de tous les professionnels : ouvriers, apprentis, patrons, les acteurs de la filière, les agriculteurs…
Le monde bouge, notamment dans la boulangerie. La nouvelle génération a besoin de voir ce qui se passe, ce que l’on ressent, comment on voit l’avenir pour nos boulangeries.
Y a-t-il eu des vraies surprises dans les résultats ?
Cette consultation a en tout cas le mérite de nous aider à fixer le cap et à prioriser nos actions.
Le besoin de transparence, qui arrive en tête des priorités, ne nous surprend pas.
En revanche, j’ai trouvé des éléments importants, qui méritent d’être soulevées. Par exemple, le désir des consommateurs qui veulent savoir "ce qu’il y a dedans". Précédemment, quand les gens mettaient les pieds chez un artisan, il partait automatiquement du principe que c’était bon, de qualité et "fait maison". Aujourd’hui, avec la poussée d’Internet, les gens se renseignent, veulent connaître les compositions et l’origine des produits.
"On a d’ailleurs pu constater que le côté local fonctionne encore plus que le Bio. Désormais, les consommateurs se disent plutôt 'si c’est produit à côté, c’est que c’est de qualité'. Voici déjà une carte à jouer pour la profession."
Ensuite, les consommateurs souhaitent que ce soient des boulangers artisanaux qui livrent prioritairement les cantines scolaires. On sait que c’est compliqué car cela passe par des marchés publics, des dossiers à remplir…, mais c’est une attente très forte sur laquelle la Confédération va travailler.
Beaucoup de répondants ont aussi évoqué la formation, et leur volonté de pérenniser le métier par ce biais, le besoin de moderniser la formation pour attirer des jeunes.
Enfin, les consommateurs se sont montrés aussi très soucieux de l’idée que les professionnels doivent gagner leur vie en travaillant, qu’il y ait un juste coût de ce métier, dans la lignée des mouvements agricoles de ce début d’année. Ils se disent d’ailleurs prêts à payer plus cher pour garantir cela.
Le besoin de transparence arrive donc en tête des priorités mais entre la pénurie de main-d’œuvre et la montée des prix, le 100% fait maison est compliqué. Que dites-vous aux boulangers tiraillés entre conscience professionnelle et dureté du quotidien ?
J’ai envie de les encourager, de leur confirmer que la relève arrive (30.000 apprentis sont formés actuellement), de leur dire de ne pas lâcher la bride car l’avenir, c’est la qualité. C’est ce que veulent les gens et ils sont prêts à payer pour cela.
"Pour avoir fait le tour de France et rencontrer beaucoup de boulangers, je sais que, quand la qualité est là, il y a une queue devant les établissements."
Bien sûr, il faut aussi plus que jamais être désormais un bon gestionnaire, justement pour faire face à cette montée des prix des matières premières ou de l’énergie mais, encore une fois, c’est l’avenir.
Et si quelqu’un avait pour habitude de sous-traiter certains de ses produits, ce n’est pas grave. Il peut se remettre petit à petit à fabriquer, cela fait aussi la fierté de son métier et lui donnera la possibilité de former un apprenti (car s’il ne fabrique pas, il ne pourra pas apprendre à fabriquer !). Je le rappelle : sans apprenti, pas de reprise d’entreprise… et donc la crainte de n’avoir à faire à l’avenir qu’à des épiceries plutôt qu’à des boulangeries.
Dans le contexte politique actuel (entretien réalisé le vendredi 5 juillet), quel sera le message prioritaire à passer au Gouvernement qui émergera suite aux législatives ? Y a-t-il eu des propositions qui vous ont convaincu ou au contraire alerté pendant cette campagne ?
J’échangeais régulièrement avec différents ministères : l’Éducation nationale, l’Économie et les TPE, l’Agriculture, le Travail (nous avons tout de même 200.000 salariés). La grosse préoccupation des derniers mois a surtout été le tarif de l’énergie.
Ces dernières semaines, j’ai vu des propositions qui étaient vraiment des "promesses de campagne" mais il faudra voir ce qui est réalisable. Certains ont promis un Smic à 1.600€ d’office pour tout le monde. Actuellement, en boulangerie, j’estime que le dialogue social fonctionne, nous avons des grilles de salaires au-dessus du Smic…
"La masse salariale représente 40% de nos CA. Si on impose ce genre d’augmentation, nous serons obligés de les répercuter sur nos prix de vente et, si l’on devient moins compétitifs, les gens finiront par aller acheter leur pain à 60 centimes bourré de gluten en supermarché."
Quel que soit le vote des Français, nous espérons qu’il n’y aura pas de mouvements sociaux car il est souvent synonyme de télétravail (donc d’une baisse d’activité pour nos collègues qui travaillent avec des entreprises, proposent des offres snacking…), d’insécurité et de peur (donc moins d’envie de recevoir, de se réunir autour d’un repas, d’un gâteau)… Nous ne faisons pas de politique, nous servons tout le monde dans nos magasins, donc nous nous adapterons quoi qu’il arrive.
La conclusion de cette grande consultation sera la mise en place, dès septembre, d’un fonds de développement pour concrétiser certaines attentes. Comment sera-t-il abondé ? Avec quels objectifs ?
En fait, nous avons commencé à le mettre en place il y a un peu plus d’un an. Nous allons essayer de l’abonder grâce à toutes les bonnes volontés afin de faire des actions de communication d’ampleur pour toucher largement nos 12 millions de clients, d’œuvrer en faveur de la formation ou de l’innovation…
L’idée sera par exemple d’aider les primo-accédants. Aujourd’hui, 200 boulangeries ferment par mois et 250 ouvrent. Parmi ces 200 fermetures, certaines auraient pu subsister s’il y avait eu un repreneur or les jeunes n’ont pas toujours le budget entre leurs petits salaires, leur loyer, l’achat d’une première voiture. Si ce fonds pouvait donner un coup de pouce à ces jeunes, ce serait très bénéfique.
L’idée serait surtout d’intéresser des mécènes à la boulangerie pour donner des moyens à nos idées. Mettre un peu d’argent dans un fonds qui représente un vrai marqueur français, 35.000 boulangers dans tout le pays, 200.000 actifs, 12 millions de clients quotidiens… Ça a du sens !
>> Retrouvez les résultats de cette consultation publique en cliquant sur ce lien. Plus d’infos : boulangerie.org