FORMATION PROFESSIONNELLE
L’INBP en proie à de graves difficultés
Au printemps, l’annonce d’une baisse drastique de la dotation destinée à l’Opérateur de compétences des entreprises de proximité (Opco EP) a sonné comme un coup de massue pour un centre de formation emblématique de la boulangerie artisanale française. Si ses effectifs avaient déjà été divisés par deux en l’espace de quatre ans, l’INBP, situé à Rouen (76), pourrait voir sa pérennité remise en cause en 2024 par l’absence de financement pour les actes intra-entreprise.
En prenant la tête de l’Institut national de la boulangerie-pâtisserie (INBP) en novembre 2022, Marius Sourdon souhaitait apporter à la profession au moins autant qu’il en avait reçu. Ce fils d’artisan boulanger a en effet vu ses études financées par le travail de ses parents, et a très tôt découvert les murs d’un centre qu’il rejoindra dès son cursus académique terminé. Aura-t-il la possibilité de mener à bien sa mission ? « Les missions financées par le biais de l’Opco EP représentaient 60 % de notre activité : la formation continue est notre cœur de métier », détaille le directeur. Avec une limite de formation passant de 7 500 € à 3 000 € HT pour les entreprises de moins de 11 salariés, et de nombreux dossiers déposés en début d’année se voyant refusés alors même que les prestations ont été réalisées, la situation de l’institut est critique « C’est une situation d’autant plus difficile à accepter car nous avions retrouvé en 2022 une belle dynamique sur la formation intra-entreprise, prouvant l’existence d’un besoin chez les artisans. » Plus encore que les boulangeries de taille modeste, ce sont les entreprises les plus fragiles qui sont négligées. « Il n’existe pas de financement adapté pour les artisans dont la structure ne compte qu’un seul salarié, à l’image de nombreuses boutiques qui peuplent le territoire français : dans tous les cas, le déplacement d’un formateur n’est pas couvert ! Ils sont contraints de se tourner vers des formats interentreprises, via leur fédération locale ou en se déplaçant à l’INBP pendant 3 jours... ce qui implique une perte d’exploitation, puisque la boutique demeure fermée sur cette période. » Un fait inquiétant pour le maintien de la boulangerie indépendante dans les zones rurales : faute d’être en mesure de se renouveler par la mise à niveau de ses compétences, elle sera condamnée à décliner... et les aides locales mises en œuvre pour réimplanter des artisans seront alors d’une efficacité discutable.
Les reconversions professionnelles peinent à faire recette
Il s’agit d’un nouvel épisode dans la vie sinueuse du centre : « L’équipe est passée de 64 à 30 personnes, en raison d’une modification des règles de financement », regrette Marius Sourdon. En effet, les reconversions professionnelles ont assuré de belles années à l’INBP. « Nous étions parmi les premiers à en former, et ce dès 1976. » Mais la régionalisation des financements, engagée lors des dernières réformes, a contribué à mettre un coup d’arrêt à cette dynamique. « Cette activité a été réduite par quatre. Comme pour les entreprises commerciales, certaines de nos activités génèrent du résultat et d’autres moins, ce qui crée un équilibre au global. » À la sortie des périodes de confinement, les aides mises en œuvre ont suscité un afflux de demandes de profils en reconversion particulièrement éphémère. « Nous avons vécu les confinements à retardement. C’est six mois après ces derniers que nous avons dû placer du personnel en chômage partiel. » Si la filière a pu être attractive auprès de ce public, c’est aujourd’hui moins le cas en raison de la crise, largement documentée dans les médias, qu’elle traverse.
Malgré les crises, l’Institut renouvelle son offre et s’adapte à la conjoncture
Loin de rester inactif, l’INBP a considérablement augmenté le nombre d’apprentis formés, tout en restant fidèle à son engagement de réaliser des formations CAP destinées qu’aux seuls post-bac. Un effort bien loin d’être suffisant pour assurer l’équilibre des comptes d’exploitation, car dans le même temps les formations supérieures sont à la peine. « Les effectifs en Brevet de maîtrise (BM) boulanger ont été réduits de moitié, et nous ne sommes pas toujours en mesure de compléter les sessions du même titre en pâtisserie. » Pourtant, ces formations supérieures ont un intérêt majeur pour la transmission des entreprises artisanales : un boulanger formé aux sujets tels que le management, la gestion ou la communication – qui sont partie intégrante du BM – sera mieux à même de faire face au marché concurrentiel qui l’attend une fois installé. « La baisse du nombre d’inscrits sur notre formation historique en 6 mois s’explique par l’insuffisance des possibilités de financement, 80 % de nos BM auto-financent désormais leur formation. Nous avons donc décidé de proposer cette formation en apprentissage. Un dispositif exceptionnel court jusqu’en décembre 2023, sans garantie quant à sa pérennité ».
Pour tenter d’attirer des professionnels en poste, l’Institut compte miser sur un dispositif méconnu, baptisé CDI-Apprentissage. Un salarié titulaire d’un contrat à durée indéterminée (CDI) dans une entreprise peut en effet, en vertu de l’article L. 6222-13 du Code du travail, suspendre ce contrat en accord avec son employeur, et ce afin de signer un contrat d’apprentissage au sein de cette même structure, tout en retrouvant son poste initial au terme de la formation. Ainsi, le salarié peut s’ouvrir à des diplômes supérieurs sans perte de salaire. Un dispositif gagnant-gagnant encore méconnu, qui permet à l’employeur de disposer d’aides avec une formation entièrement prise en charge. Une classe de BM dédiée à ce mécanisme devrait être ouverte au sein de l’INBP d’ici la fin d’année. D’autres cursus, tels que le brevet professionnel (BP) boulanger, le CAP chocolatier ou le brevet technique des métiers (BTM) seront ouverts à un public élargi (que les candidats aient préalablement été formés à l’INBP ou non). Du côté de la formation intra-entreprise financée habituellement par le Plan de développement des compétences, l’équipe de l’INBP élabore actuellement de nouvelles formations pour espérer un financement via le FNE (Fonds national de l’emploi).
Une culture de l’excellence à défendre pour la réussite de la filière
Au-delà des craintes pour la structure qu’il dirige, Marius Sourdon s’inquiète du repli sur soi que développent de nombreux artisans face à une situation complexe : « Il est indispensable de continuer à se former, de rester positifs et d’identifier des opportunités malgré le contexte perturbé. Nous avons à cœur d’accompagner tous les boulangers indépendants, peu importe la taille de leur entreprise, en défendant l’exigence et l’implication qui caractérisent nos équipes ». Si la structure est naturellement certifiée Qualiopi, un prérequis indispensable pour un centre de formation, c’est en effet la culture de l’excellence développée au sein de l’école rouennaise qui fait la différence : au premier semestre 2023, 4 des formateurs se sont distingués en obtenant un titre de Meilleur Ouvrier de France, celui de Champion européen du sucre d’art, la Coupe de France de la boulangerie ou encore la validation du module professionnel du Brevet de maîtrise. Autant de preuves de l’émulation positive entretenue dans les espaces de l’INBP. Autant de raisons de se mobiliser pour éloigner la perspective d’une disparition de cet outil emblématique de la boulangerie française.