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Formation en milieu pénitentiaire

Une solution alternative pour l’emploi en boulangerie

Publié le 11/07/2024 |
A Douais, Joseph Camus et Enzo Fassone, membres du jury CQP et Cédric Delhaie, formateur, encadrent leur groupe d'apprenants.

En France, cinq établissements pénitentiaires forment des personnes volontaires au métier de boulanger. Le succès du dispositif repose sur la FEB, des formateurs engagés (notamment pour le compte de SAS Insertion), des fournisseurs et équipementiers généreux, mais aussi sur l’efficacité d’un CQP. Rencontre avec les acteurs qui se sont investis dans le projet pilote, à Douais (Nord)…

Pour éviter la récidive, le plan Prison, lancé en 2018, a imaginé des structures d’insertion économique qui aident les détenus à préparer leur sortie et à se reprojeter dans une vie professionnelle.

"Une phase test a démarré en 2019 en milieu pénitentiaire et notamment à la prison de Douai où la direction avait en projet la création d’une boulangerie", retrace Xavier Accart, directeur adjoint de SAS Insertion, une entreprise sociale apprenante.

Pour développer et mettre en place l’activité, la structure recrute Cédric Delhaie, un boulanger riche de 33 ans d’expérience. "Les encadrants sont choisis pour leurs compétences professionnelles autant que pour leur pédagogie et leur capacité à transmettre un savoir-faire."

Pas de profil type : ces anciens boulangers ont été indépendants, à la tête de leur propre affaire, ou salariés dans des franchises… Tous se lancent avec l’envie de transmettre leur savoir-faire, amènent dans leurs bagages leurs recettes locales, leur expérience, leurs tournemains.

Cédric Delhaie franchit le seuil de la maison d’arrêt de Douai en tant qu’encadrant en 2021 : "Intervenir en prison était un challenge et je ne quitterai ce poste pour rien au monde. Le côté tant humain que social de ce métier me plaît. J’apprécie d’échanger avec des apprenants réceptifs et de les valoriser."

Premier critère d’éligibilité à la formation : la durée de la peine d’emprisonnement (de 10 à 36 mois). Les volontaires passent par ailleurs un entretien de motivation avant de pouvoir mettre les mains dans la farine. "Ce travail de sélection est mené par l’administration pénitentiaire. Dès qu’il y a un petit souci, pas d’arrangement, ils sont exclus. Ceux qui restent ont donc vraiment envie d’aller jusqu’au bout et ils y vont à 95%", mentionne Enzo Fassone, ambassadeur et juré de CQP, le certificat de qualification professionnelle qui vient valider cette formation, et auquel le conseil régional apporte son soutien financier.

Des laboratoires professionnels

Dès son arrivée, Cédric Delhaie procède à l’installation des outils de l’atelier et élabore les recettes. "Le laboratoire est mieux équipé que certaines boulangeries traditionnelles." Fait confirmé par Enzo Fassone : "Le laboratoire est le même dans tous les établissements pénitentiaires, que ce soit à Nîmes, Châteaudun, Poitiers ou à Douais : vestiaire, four à sole 8 bouches, pétrin, balancelle, diviseuses, façonneuse, repose-paton, chambre froide… Toutes les conditions sont réunies pour placer les participants dans les conditions du réel."

Outre l’investissement pris en charge par les pouvoirs publics ou des fonds propres, ce sont surtout les partenaires privés qui rendent ce dispositif financièrement tenable : Lesaffre (qui fournit la levure notamment), Sasa (bacs), la minoterie locale Les Moulins du Nord (farine), ou encore l’équipementier Bongard, investi dès l’origine du projet. "Nous sommes intervenus auprès de SAS Insertion sur des projets de création et de ‘remodeling’. Leur objectif était de transformer des labos dédiés à l’origine à la formation, soit dimensionnés et équipés uniquement pour des volumes de l’ordre d’une cinquantaine de baguettes, en des espaces permettant de produire du pain pour l’ensemble des détenus, soit 1.000 à 1.500 baguettes par jour, se remémore Olivier Bosc, Directeur Comptes spécialisés France chez Bongard. L’enjeu a été d’adapter les équipements à un volume de production plus important et aux contraintes de ‘temps de formation’ (et donc de production) limité à 4 heures. Nous les avons aidés à définir leur besoin, à choisir les équipements les plus adéquats, pour l’installation et la maintenance. Pour chaque projet, nous avons tenu compte de la configuration des lieux et de la ‘marche en avant’ pour proposer un plan d’implantation sur mesure. Il y a à ce jour six autres projets en cours dans lesquels nous nous investissons."

Un vrai rythme de travail

"Le matin, huit détenus en contrat d’insertion produisent 1.300 baguettes livrées en interne ainsi que dans les maisons d’arrêt de Valenciennes et d’Arras. L’après-midi, je forme dix stagiaires", indique Cédric Delhaie dont le travail et l’investissement sont particulièrement reconnus, notamment par Enzo Fassone. "Cédric est quelqu’un de très généreux. Croissants, pains… Il leur fait tout faire et leur impose un vrai rythme de travail. C’est carré. Cinq jours par semaine, une équipe fabrique et met en réserve pour le lendemain, puis une autre cuit. Grâce aux enseignements théoriques complémentaires, après cinq mois de formation intensifs, ils sont complètement opérationnels et sensibilisés à toutes les notions : levain, fermentation, EPI, hygiène, sécurité, traçabilité… Ils sont payés, valorisés et peuvent se projeter. Tout le monde est enchanté à Douai !"

Pour rappel, en 2020, 52% des personnes entrées en détention ne disposaient d’aucun diplôme.

Wilson Piques, responsable des affaires sociales et de la formation professionnelle à la FEB,  Joseph Camus et Enzo Fassone, membres du jury CQP.

Un ticket de sortie

À la clé, un diplôme certifiant : le CQP ouvrier qualifié en fabrication de produits BVP, conçu en lien avec la FEB (Fédération des entrepreneurs de boulangerie). Et la force d’un réseau, indispensable. "L’intérêt de notre fédération est qu’on peut les mettre en relation avec les employeurs à leur sortie. Ils peuvent être aussi bien engagés dans les réseaux de magasins et de franchises (comme Ange, Marie Blachère…), chez des boulangers indépendants ou avoir la volonté d’ouvrir leur propre boutique", précise Aurélie Girard, responsable Communication et RSE de la FEB.

"Ils savent que ce CQP, c’est le Graal, leur ticket de sortie. Nous les suivons pour qu’ils réussissent. On les motive pour qu’ils passent le permis, indispensable pour qu’ils sortent de leur giron et pour s’adapter aux horaires du métier. On a également sensibilisé SAS Formation pour qu’ils aient accès à un logement à la sortie, s’ils sont isolés, et éviter qu’ils ne retombent dans la délinquance parce que dans une trop grande précarité", indique Enzo Fassone, enthousiaste dès lors qu’il évoque le parcours de ses "protégés".

Parmi les belles histoires, celle de cet ancien détenu de Douais, devenu, en 18 mois seulement, responsable de fabrication dans une boulangerie à La Réunion, propriétaire de sa voiture et ayant pu acter un prêt immobilier. Son portrait trône en bonne place dans le labo de ses anciens compagnons d’infortune, "pour être pris en exemple, que chacun se fixe ses propres objectifs".

Depuis le lancement du dispositif, 40 personnes ont quitté la maison d’arrêt de Douai fort de leur CQP. Rien qu’en avril 2024, plus de 60 détenus sont sortis diplômés de plusieurs centres pénitentiaires dans tout le pays, avec un excellent taux d’employabilité dans le secteur de la boulangerie-pâtisserie. Une goutte d’eau au regard des milliers de postes à pourvoir dans la filière mais une goutte d’eau qui fait sens, et ne cesse de grossir. Onze ouvertures de laboratoires sont prévues prochainement dans toute la France et attendent des formateurs motivés.

Plus d'infos : www.entrepreneursboulangerie.org - LinkedIn : SAS Insertion