INFLATION
Jusqu'à quel prix peut-on vendre du pain ?
Jusqu'à 22,50€ pour un kilogramme de pain à base de farine de petit épeautre : les prix relevés dans une boulangerie en proche banlieue parisienne ont de quoi surprendre et interroger.
Si les explications peuvent être nombreuses au vu du contexte (coût de l'énergie, masse salariale, farines sélectionnées, investissements à rembourser...), les conséquences d'une telle grille tarifaire peuvent être importantes pour l'entreprise et plus globalement la boulangerie artisanale.
La baguette de pain est un véritable mètre-étalon du métier, sur lequel les artisans sont particulièrement scrutés : certains estiment ne pas pouvoir la vendre au delà de 1,20 à 1,50€... mais qu'en est-il des pains dits "spéciaux", dont la présence s'est accrue dans les vitrines des boutiques ? La situation est bien différente sur ce sujet, car les clients disposent de bien moins de repères sur des produits plus atypiques, lesquels peuvent porter des attributs particuliers contribuant à leur donner de la valeur (travail sur levain naturel, farines de blés dits "paysans", faible taux de gluten, longue fermentation...). Néanmoins, en fonction du secteur géographique, les freins à l'achat pourront être plus ou moins marqués, dépendant également de la capacité de l'équipe de vente (et donc de l'entrepreneur) à mener la pédagogie nécessaire pour justifier les tarifs pratiqués.
Depuis 1987, le prix du pain est complètement libre en France, à la suite d'une ordonnance prononcée en réponse à un long travail de lobbying mené par la profession. Pendant des siècles, la royauté puis l'Etat ont fixé les tarifs. Rapidement la libéralisation a engendré une hausse des prix, de l'ordre de 8 à 10%, justifiée à l'époque par la nécessité d'améliorer les conditions de travail des ouvriers. Aujourd'hui, les tarifs pourraient évoluer de manière bien plus conséquente sans pour autant que les clients disposent d'une lecture complète des raisons encourageant de tels choix : le calcul du prix du pain et les marges des boulangers sur ce produits demeurent très opaques. Une discrétion qui s'explique notamment par le taux de marge élevé réalisé sur ce segment, bien au dessus des autres gammes développées plus récemment en boulangerie-pâtisserie : viennoiserie, pâtisserie, snacking... autant d'activités moins rentables de par des coûts matière et de transformation élevés. Dans un contexte de diversification des activités tel que celui observé au sein de la profession sur ces 20 dernières années, le pain peut-il supporter à lui seul l'exploitation rentable d'une entreprise ?
Le risque est élevé : en pratiquant de hauts niveaux de tarifs, l'image renvoyée par la boulangerie artisanale pourrait être désastreuse, fissurant le soutien affiché par la population dans la crise traversée actuellement. La notion d'"image-prix", particulièrement cruciale pour les acteurs de la distribution, s'applique tout autant en commerce de proximité. Il faut ainsi soigner ses marqueurs tels que la baguette, le croissant... sans négliger que certains produits, marginaux dans l'offre et proposés à des tarifs élevés, peuvent contribuer à donner le sentiment, parfois injustifié, d'être face à une offre inaccessible. Si la consommation et le trafic en magasin sont amenés à connaître une inflexion, déjà observée depuis la fin 2022, cette année, l'enjeu est de limiter la "descente en gamme" (trading down), se traduisant par la réorientation de la consommation vers d'autres types d'offre (industrielle ou GMS). Dès lors, si certaines références devaient se négocier à prix trop élevés en raison de l'évolution de l'environnement, le choix de se recentrer sur des gammes plus courtes et accessibles pourrait s'imposer afin de préserver l'indispensable confiance des clients... et éviter une dangeureuse opposition entre pain des riches et pain des pauvres.