EXPERT
Vigilance autour de la marge brute globale : son approche ne doit pas être dogmatique
La marge brute globale est un indicateur de gestion très important dans une exploitation de boulangerie – pâtisserie. Il permet de déterminer la marge bénéficiaire entre, d’un côté, le montant des achats de matières premières et marchandises consommées, et, d’un autre côté, le montant des ventes de production et marchandises. Aussi importante soit-elle, la marge brute globale (MBG) ne doit pas devenir un « dogme ».
Wali Amirat, fondateur d’Eunoé Consulting, Consultant indépendant en stratégie et pilotage d’entreprise.
Cinq principaux éléments déterminent le niveau de la marge brute globale (MBG) :
▶ le prix de vente en boutique ;
▶ le coût d’achat des matières pre- mières et marchandises ;
▶ la perte ;
▶ la démarque ;
▶ le rendement de la matière première, l’optimisation des diagrammes et des différents process de fabrication.
Ces 5 points doivent être appréhendés de manière équilibrée, dans une approche globale. Une concentration excessive autour de la MBG peut entraîner un déséquilibre dans le pilotage global de l’exploitation. Il ne s’agit pas de dire, à travers ce propos, que la MBG n’est pas importante, au contraire ; mais le but est plutôt de rappeler que la MBG est à mettre en perspective avec d’autres éléments. Son analyse ne doit pas être isolée et décontextualisée. Combien avons-nous déjà vu de chefs d’entreprise devenir obnubilés par le coût d’achat des matières premières au point d’en oublier qu’il existe au sein de son entreprise d’autres leviers à mettre en œuvre en parallèle, et qui sont tout aussi importants, voire plus... L’artisan, en tant que pilote de son exploitation, se devrait d’équilibrer ces ratios de gestion en cohérence avec sa stratégie globale ; c’est un préalable nécessaire.
Bâtir une « stratégie prix » claire et cohérente, un pré-requis indispensable en période d’inflation
Chaque exploitation est différente, et le chef d’entreprise met en œuvre la stratégie de son choix ; selon l’emplacement géographique, le positionnement commercial, l’étape de vie de l’exploitation, l’intensité concurrentielle, et autres encore... le niveau de marge brute peut fluctuer. Par exemple, le niveau de marge brute en pourcentage peut être réduit volontairement afin d’augmenter le niveau de vente en volume et ainsi accroître la marge en valeur €. Dans une stratégie cohérente, telle qu’une pénétration de marché par le prix, le chef d’entreprise en tirera des avantages certains. Dans un contexte inflationniste et face à une demande de plus en plus élastique, c’est-à-dire que l’acte d’achat du consommateur dépend souvent du prix du produit – peu importe le niveau qualitatif – il achètera moins ou ailleurs, vers un niveau de qualité qu’il percevra comme similaire ou un peu moindre, mais à un prix inférieur. La galette des rois en artisanat en est un parfait exemple. Obsédés par l’unique objectif d’obtenir un taux de MBG élevé, de nombreux boulangers ne se concentrent que sur le coût d’achat des matières premières et augmentent au maximum le prix de vente en boutique. De ce fait, des consommateurs jadis fidèles à la galette artisanale se réorientent vers des commerces la vendant moins cher... un tarif attractif pouvant être accompagné d’un dispositif de marketing de masse participant à accroître la valeur perçue du produit chez ces mêmes clients. La filière artisanale gagnerait à maintenir un niveau de prix soutenable pour le consommateur, tout en préservant le niveau qualitatif de son produit ; ceci déployé dans une exploitation équilibrée, c’est-à-dire un positionnement commercial en cohérence avec les ressources mises en œuvre, et les convictions du chef d’entreprise. C’est alors que les ventes augmenteront en volume, ce qui garantira, à un certain niveau de vente, une meilleure marge en valeur €.
Les crises ne doivent pas éloigner les artisans de leurs valeurs
Si la marge brute globale est primordiale, elle doit être intégrée à une réflexion globale. Il ne suffit pas d’attendre son bilan et d’observer son taux de MBG avec l’impatience de voir si la marge a augmenté ou baissé. Les artisans ont traversé une succession de perturbations inédite : une crise sanitaire majeure, une flambée de prix des matières premières, une envolée des prix de l’énergie, des banques de moins en moins enclines à financer les investissements, un emballement du coût des matériaux, aussi bien pour le matériel de fabrication que pour les travaux. Ceci a eu pour effet de motiver le chef d’entreprise à être de plus en plus pointu dans la gestion de son exploitation, mais cela a également eu pour effet pervers de le détourner de ses objec- tifs primordiaux. En conclusion, l’artisan boulanger-pâtissier doit, s’il veut pérenniser son activité, avoir une vision globale de son entreprise et la diriger en véritable gestionnaire tout en gardant ses convictions d’artisan qui lui conféreront une différenciation certaine avec ses concurrents.