L'actualité de votre univers professionnel

MARCHÉ

La montée en puissance des réseaux continue d'inquiéter les artisans

Faut-il encore chercher à combattre ? La question se pose légitimement face à la volonté affichée par les enseignes nationales qui agitent le marché du pain depuis près de 15 ans. Marie Blachère, Ange, Louise, Sophie Lebreuilly, Feuillette... chacun de ces noms sonne comme de nouveaux ennuis pour les artisans indépendants, déjà affaiblis par les crises à répétition. Malgré tout, les boulangers ne baissent pas les armes et veulent démontrer leur capacité à agir pour faire entendre leur voix. Une énergie que d'autres déploient pour transformer le modèle de la boulangerie artisanale afin de se préserver et de développer une plus grande résilience face à un monde en pleine transformation.

Dans le Jura, les artisans se mobilisent pour faire entendre leur voix

Lons-le-Saunier (39), 17 092 habitants en 2020 (l'agglomération en compte environ 27 000 au total), 14 boulangeries et 2 réseaux de boulangerie, Marie Blachère et Feuillette. Le décor est planté : l'offre locale en pains, viennoiseries et autres gourmandises est déjà particulièrement abondante. Sans doute pas assez pour le groupe Blachère, qui aurait initié le projet d'une seconde implantation, mais également pour ANGE, dont l'arrivée fait l'objet de rumeurs persistantes. Nicolas Amaté, Mathieu Paget, Joffrey Boillod, Najim Akanny, David Gros, Rémi Hanssler et Katty Prevalet, Jérémy Guy, Étienne Pothieux et Clémentine Branchy et la famille Poncelin se sont unis afin de sensibiliser l'opinion aux effets que pourraient avoir ces nouveaux projet sur le commerce local : suppressions d'emplois, défaillances d'entreprises... autant de sombres perspectives qui se sont concrétisées ces derniers mois sur le territoire français et qui ont pour but de faire réagir les habitants autant que le maire de Lons. L'objectif serait d'obtenir des actions concrètes, les boulangers indépendant souhaitant parvenir à faire empêcher ces nouvelles ouvertures... et, à défaut, ils mettront en place "des actions" encore à définir. Nicolas Amaté, installé dans le centre-ville depuis 8 ans et demi, décrivait un mot d'ordre clair auprès de France 3 Bourgogne - Franche-Comté "L’artisanat avant tout. La lutte contre les chaînes.".

Le combat, une stratégie discutable

Une approche qui n'est pas sans rappeler celle développée à Villers-Cotterêts (02), où les artisans se sont rassemblés pour peser sur le débat. A Viry-Noureuil (02), l'arrivée de l'enseigne Sophie Lebreuilly a été tout aussi fraichement accueillie. Dans chacun de ces exemples, les leviers d'action sont limités pour les édiles, placés en première ligne face au mécontentement des commerçants : la liberté d'entreprendre, et par extension celle de concurrence, fait partie des principes qui régissent l'économie française. Cette logique du combat permanent peine à faire ses preuves. Pire, elle n'a pas empêché la ré-orientation durable de dizaines milliers de clients vers ces acteurs à la visibilité accrue, tout en retardant les nécessaires transformations du modèle boulanger dans lequel sont inscrit la majorité des artisans aujourd'hui en situation précaire. La force publique, désormais éloignée de la doctrine du "quoi qu'il en coûte" adoptée pendant la période Covid, ne pourra pas sauver les boulangers, malgré leur intérêt dans l'aménagement du territoire et la pérennité des centre-ville au sein des territoires ruraux.

Muter pour continuer d'exister

Dès lors, plutôt que le combat, la lutte ou toute autre logique armée, les artisans indépendants seront contraints, à court ou moyen terme, de faire muter leur modèle pour assurer leur pérennité dans un contexte où la boulangerie-pâtisserie se financiarise à marche forcée. Un parti pris par Christophe Rochet, qui a tenu pendant près de 10 ans la boulangerie Mie & You à Lons-le-Saunier : après 25 ans de métier, l'artisan éprouvait la lassitude d'un métier aussi prenant que contraignant. Une fois son affaire cédée à Rémi Hanssler et Katty Prevalet, qui l'ont alors renommée la Mie'stérieuse, c'est un nouveau projet bien différent qui s'est ouvert à lui : ce dernier vient d'aboutir avec l'ouverture de Pain & Brioche à Flacey-en-Bresse (71). Au programme : un four à bois signé Chazal, uniquement des pains au levain naturel, des brioches... et trois jours d'ouverture, avec des horaires restreints. Ce "choix de vie", assumé par le chef d'entreprise, l'extrait de nombreuses difficultés inhérentes à la filière : difficultés de recrutement (le boulanger travaille seul), variations du cours de l'électricité, gestion des prix des nombreuses matières premières utilisées en boulangerie "traditionnelle"... un véritable retour aux sources qui séduit plus d'un professionnel dans un contexte où le mal-être s'installe de façon durable, ajoutant un poids moral à l'aspect économique. Cette option n'est pas la seule à disposition des artisans. La seule contrainte sera pour eux, plus que jamais, de se différencier et de renouveler en profondeur leur offre tout autant que le positionnement global de leur entreprise... au risque de mener un combat vain, sur un terrain glissant et miné.