CONJONCTURE
Energie, prix, concurrence... les défis de la rentrée pour la filière artisanale
Les vacances auront été apaisantes pour des milliers de boulangers-pâtissiers, quittant à cette occasion la routine métro-fourneaux-dodo. C'est une rentrée sous haute tension qui les attend dans les jours à venir : non seulement la fermeture estivale a un impact direct sur la trésorerie des artisans, mais ils devront évoluer dans un contexte toujours perturbé. L'inflation galopante de ces derniers mois a laissé place à une stagnation des prix sur de nombreux alimentaires... dessinant un paysage bien éloigné des attentes de millions de Français, à qui les pouvoirs publics et les médias grand public avaient promis des baisses de tarif visibles au quotidien. Ces dernières, si elles sont réelles, pourraient demeurer limitées autant par le nombre de produits concernés que par le pourcentage de baisse.
Vers un retour des problématiques autour de l'énergie en 2024 ?
Si le sujet de l'énergie a quitté l'espace médiatique, il n'en demeure pas moins un sujet d'inquiétude et de difficultés. En Ille-et-Vilaine (35), la boulangerie La Ptite Chouquette a pu compter sur la solidarité de ses clients pour surmonter cette période difficile : une cagnotte lancée à l'initiative de commerçants de la commune de Saint-Suliac, où est situé l'établissement, a rassemblé plus de 5 000 euros pour permettre au couple de boulangers de régler ses factures d'énergie et de matières premières. Un généreux client a, pour l'occasion, versé 500 euros... pour deux baguettes de pain. De quoi convaincre, s'il le fallait encore, du profond attachement des clients à leurs artisans boulangers. Début août, l'augmentation de 10% des tarifs réglementés de l'électricité a suscité l'émoi des professionnels demeurés sous la protection de ce dispositif, accessible pour les structures ayant souscrit une puissance inférieure à 5 kVA. "Aucune aide énergétique n'est prévue pour l'an prochain" tonne Nicolas Marnay, propriétaire de cinq boulangeries à Paris et en proche banlieue, mais également président de la Commission Gestion, Fiscalité et Réglementation au sein du Syndicat Patronal des Boulangers du Grand Paris "Nous ne disposons d'aucune visibilité pour 2024 et nos interlocuteurs au sein des pouvoirs publics n'ont pas de réponse à nous apporter. Pour de nombreuses boulangeries frappées par la hausse des prix de l'énergie, l'exploitation est viable avec les aides mais certainement pas sans !". Ce manque de perspectives pourrait avoir des conséquences sur la transmission des fonds de commerce, déjà ralentie depuis le début de la crise en cours.
Une impossible baisse des prix en boulangerie
Le sujet des prix pourrait également revenir sur le devant de la scène : les artisans ont été contraints d'augmenter leurs tarifs sur la qualité totalité de leurs fabrications, répercutant pour la plupart de manière partielle les hausses subies sur le coût des matières premières, les salaires ou encore l'énergie. Depuis, la baisse des cours du blé a largement été documentée dans les médias, avec l'idée que les marges des acteurs de la filière blé-farine-pain se rétabliraient grâce à ce simple fait. C'est bien loin d'être le cas, et, comme le soulignait Jean-François Loiseau en juin dernier, c'est une fragile bouffée d'oxygène qui a été offerte aux entreprises meunières : privées pour la plupart de leurs capacité d'investissement au coeur de la crise, elles risquaient de perdre en compétitivité à moyen terme. Dès lors, difficile d'envisager des baisses du côté des prix de farine... à moins d'observer chez certaines acteurs la volonté de relancer la guerre des prix pour capter des parts de marché, profitant de l'attention renforcée des artisans sur la maîtrise de leur coût matière. Ils devront en effet eux-mêmes subir la pression de leurs clients, pour qui l'inflation est devenue étouffante.
Dans le même temps, des concurrents toujours plus dynamiques continuent leur déploiement, avec des offres attractives en prix et en diversité. Le pain n'a jamais été aussi peu consommé en France, et pourtant l'étendue de l'offre atteint des sommets : grande distribution, discounters, réseaux... devenu un produit d'appel par excellence, ce symbole du savoir-faire français peine à être pleinement valorisé. Une des raisons qui explique les difficultés qu'ont observé les artisans pour mettre en oeuvre leurs hausses tarifaires, pourtant indispensables. Pour faire face à cette situation explosive, les indispensables transformations du paysage boulanger hexagonal devraient s'accélérer : montée en puissance des "boulangeries coffee-shop", développement de nouveaux instants de consommation, sursaut qualitatif sur les produits "de base" du boulanger, développement de positionnements aux aspérités et engagement qualité toujours plus marqués... plus que jamais, la différenciation et la capacité de chacun à développer des entreprises cassant les codes traditionnels du métier seront nécessaires pour assurer la survie de la filière.