COMMERCE
Les horaires d'ouverture, une partie intégrante du service et de l'ADN de la boulangerie française
Des boulangeries ouvertes à partir de 8 heures, voire 10, 14 ou même 16 heures. La pratique prend de l'ampleur sur le territoire français, souvent portée par des artisans issus de parcours en reconversion professionnelle ou défendant une approche "engagée" du métier. S'il répond à une volonté d'améliorer les conditions de travail des collaborateurs, un tel positionnement se place en rupture avec les codes traditionnels de la filière. Au risque de dégrader l'image de la boulangerie-pâtisserie, en remettant en cause son caractère accessible au plus grand nombre : ouvrir tôt -entre 6 et 7h (voire 5h pour les plus matinaux)-, c'est offrir la possibilité à des clients d'acheter du pain ou des viennoiseries frais sur le chemin du travail ou de l'école, inscrivant l'artisan dans le quotidien des Français.
Pour certains entrepreneurs, ces traditions sont aujourd'hui devenues problématiques. "Ce n’est pas tenable de vouloir ouvrir un maximum en fabricant l'ensemble des produits", tranche Domitille Flichy, à la tête des 3 boulangeries parisiennes Farinez'Vous, "Il y a une vraie question sur les horaires en boulangerie, et les artisans devront assumer de ne pas vouloir passer leur vie au travail. Historiquement, certains se valorisaient par leur présentéisme. Cela n'a plus de sens aujourd'hui !". Afin de préserver la qualité de vie de ses salariés, elle a ainsi fait le choix de fermer le week-end sur l'ensemble de ses points de vente, et de ne pas dépasser 19h comme heure de fermeture. Le matin, les portes s'ouvrent entre 7h et 7h30, ce qui demeure conforme aux standards du métier.
La cheffe d'entreprise n'est pas la plus engagée sur le sujet : certains vont beaucoup plus loin, en n'ouvrant qu'en fin d'après-midi. C'est notamment le cas de Sylvain Hanriot-Collin, installé à Lyon depuis mars 2016 sous le nom Boulangerie Paume de Pain. Cet ancien cheminot, passé par l'Ecole Internationale de Boulangerie (EIDB), a fait le choix de supprimer totalement le travail de nuit dans son organisation. Sa gamme a été pensée en conséquence, cette dernière étant centrée sur les pains au levain naturel et les brioches, sans viennoiserie feuilletée.
Ces démarches, vertueuses sur bien des aspects, posent la question de la place de la boulangerie artisanale indépendante dans un contexte de concurrence exacerbée : est-il nécessaire de s'affirmer par un positionnement spécifique, pouvant exclure de fait une partie de la clientèle, pour exister et affirmer ses valeurs ? L'engagement de la profession au service du maintien du lien social et de la vie des villages comme des quartiers est souvent portée en exemple, tout autant que sa capacité à s'adapter et à se positionner sur de nouveaux moments de consommation. En l'absence d'une ferme volonté pour le maintien des valeurs et codes du secteur, la polarisation du marché de la boulangerie pourrait ainsi s'accentuer, et les horaires font partie des marqueurs distinguant les différents acteurs.