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CONJONCTURE

Energie : une mise en lumière de l'importance des boulangers

Le spectre de la disparition des artisans boulangers aura suffi à raviver une passion française pour ce métier dont la fonction dépasse de loin la seule vente de pain. Elément indispensable des territoires, dernier commerce du village, ... les formules se sont multipliés dans les médias nationaux et régionaux, attisant l'émotion autour d'une situation explosive, dans laquelle de nombreux professionnels sont privés de perspectives voire d'avenir.

C'est pourtant un phénomène qui aurait pu passer pour normal : avec une chute continue de la consommation de pain, atteignant les 75g à 100g par jour et par personne en fonction des sources et observateurs, près de 30 000 boulangeries étaient-elles encore nécessaires sur le territoire ? Si la réponse naturelle pourrait être oui en suivant les indications laissées par un tel mouvement, la réalité s'avère plus contrastée. Tout d'abord la concurrence est forte et sans cesse renouvelée : après la grande distribution et l'industrie, les réseaux de boulangerie (Marie Blachère, Ange, Feuillette, Louise...) bousculent depuis plusieurs années le secteur de par le caractère artisanal de leur production de pain, ce qui a séduit un nombre croissant de clients. Avec pour la plupart d'entre eux des positionnement prix agressifs et des offres de promotion permanente, ils répondent à deux attentes : des tarifs attractifs, des produits frais et fabriqués sur place dans des fournils bien visibles du public.
D'autre part, l'inflation a un impact réel sur la fréquentation des commerces et les habitudes d'achat. Le dernier baromètre Bonial-Opinionway (décembre 2022) en est une parfaite illustration : seuls 45% des Français disent pouvoir encore se faire plaisir à l’occasion des courses alimentaires... soit dix points de moins qu'en mars 2022. Si cela touche en premier lieu la grande distribution, le secteur de la boulangerie-pâtisserie est touché : réduction des dépenses sur les achats "non-essentiels" (viennoiserie, pâtisserie, chocolaterie...) et de la fréquence de visite, sélection des produits plus accessibles (baguette de pain courant, pâtisseries boulangères, ...)... tous les leviers à disposition sont mis en oeuvre afin de réduire le coût d'une alimentation qui semble peser toujours plus lourd dans le budget des ménages.

Tout est une question de ressenti : si les Français sont attachés à leurs artisans, ils semblent peu enclins à engager tous les efforts nécessaires pour assurer leur survie. Cela passerait notamment par l'acceptation des hausses de prix, que de nombreux artisans pensent aujourd'hui atteindre une forme de "plafond d'acceptabilité". Dans une interview donnée au média Lyon Capitale, le boulanger Meilleur Ouvrier de France (MOF) François Pozzoli indiquait penser avoir atteint "le prix psychologique de la baguette de pain" avec une Tradition tarifée à 1,20€. Du côté de la Fédération des Entreprises de Boulangerie, on estime ce seuil à 1,50€ selon les données obtenues auprès des adhérents de l'organisation. La Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF) appelle les artisans à augmenter les prix du pain de 3 à 5% pour couvrir la hausse des prix de l'énergie, qui devraient être doublés pour de nombreux professionnels (et non plus multipliés par 4, 6 ou 10, suite à l'annonce d'un plafonnement des prix)... avec le risque non négligeable de perdre à nouveau des clients.
Cette solidarité en pointillés se prouve par les chiffres : s'il fallait 10,2 minutes de travail pour s'offrir une baguette de pain courant en 1970, deux fois moins de temps était nécessaire en 2021 (5,2 minutes). Signe qu'au moment de passer en caisse, les priorités des consommateurs sont différentes de celles exprimées. 

Néanmoins, la mise en lumière du métier qui est faite aujourd'hui est aussi utile que douloureuse. Elle met l'accent sur la fragilité des entreprises de boulangerie, qui génèrent de l'emploi et forment des jeunes... autant de missions qu'elles ne pourraient plus remplir en cas de défaillances massives. Derrière de grandes réussites et une image positive renvoyée par des émissions de télévision populaires, la réalité du quotidien d'un artisan boulanger-pâtissier est complexe. La naissance de nouveaux mouvements de protestation au sein des rangs de la profession, en dehors des outils de représentation traditionnels, pourrait participer à transformer durablement les habitudes et la vision du métier. Au delà du souhait d'obtenir des aides afin d'assurer la pérennité des entreprises, c'est le modèle même de la boulangerie française qui est en question : son savoir-faire et sa diversité sont en danger de longue date, ce qui devient aujourd'hui criant et nécessite des actions urgentes, dont une partie sont aux mains des boulangers eux-mêmes.