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Cuire toute la journée, une idée encore moderne ?
Du pain chaud et frais toute la journée : la promesse est devenue un véritable standard en boulangerie artisanale, poussée notamment par la concurrence des autres segments d'offre de panification, lesquels ont très tôt pris ce virage.
S'il n'est pas nécessaire de disposer d'un personnel dédié et qualifié pour réchauffer et dorer des pâtons, l'exercice se révèle plus technique en artisanat, où les manipulations sont nombreuses. Dès lors, il a fallu modifier l'organisation du travail et employer des boulangers l'après-midi, voire jusqu'en début de soirée. Le matériel, qui n'était utilisé que sur une plage horaire restreinte, est depuis mis à contribution toute la journée, principalement sur le poste de cuisson. Cela a participé à l'attractivité de l'offre pour un nombre important de consommateurs, sensibles à la texture du pain fraichement sorti du four... un caractère particulièrement marqué sur les baguettes, dont la durée de vie demeure courte.
L'environnement dans lequel la profession doit aujourd'hui évoluer remet profondément en cause ces pratiques pour bon nombre d'artisans, qui ne fabriquent pas des volumes justifiant une activité aussi étalée au sein de leurs fournils. Non seulement ils peinent à recruter et fidéliser leurs équipes, mais les coûts de l'énergie sont particulièrement élevés, avec le spectre de pénuries dans les mois à venir. Dès lors, le coût induit par la volonté d'offrir un produit chaud à toute heure peut rapidement devenir pesant pour des entreprises fragiles. Une étude approfondie de la productivité de chaque salarié sur sa plage horaire de travail peut s'avérer nécessaire : cela permet de mesurer la justification ou non d'une organisation imposée à l'échelle d'un métier, alors que la situation de chaque entreprise est unique. Si les boulangeries situées sur d'importantes zones de passage peuvent offrir un tel service, c'est bien moins le cas d'entreprises plus isolées.
Au delà des considérations économiques, c'est aussi la question écologique qui s'invite dans le débat : à une époque où les impacts des actions individuelles sont étudiés, le fait de laisser un four allumé tout au long d'une journée peut poser question, d'autant plus quand on intègre l'importante consommation énergétique d'un tel équipement, malgré les progrès réalisés sur ce sujet par les fabricants de matériel.
Plus globalement, une telle réflexion impacte la construction de l'offre d'une entreprise de boulangerie : si la France demeure aujourd'hui la patrie de la baguette, sa faible conservation et les pertes engendrées, additionnées aux problématiques détaillées précédemment, incitent à se tourner vers des pains de garde, pouvant être cuits une seule fois par jour sans risque d'altération de leurs qualités organoleptiques. Tourtes, pains à la coupe, en moule, aux céréales et farines variées... le choix séduit un nombre croissant de clients, sensibles au goût et à la conservation de ces produits, souvent travaillés au levain naturel. Un fait mis en lumière lors des confinements liés à la situation sanitaire, où ces pains ont été particulièrement plébiscités, comme un retour à l'essentiel. Une logique inscrite dans l'esprit de sobriété qui semble s'imposer pour la pérennité des activités humaines.