Savoir-faire
Comment assurer la transmission des entreprises de meunerie ?
Ils étaient près de 40 000 au début du XXe siècle… et sont moins de 400 aujourd’hui : le nombre de moulins en activité n’a cessé de se réduire au fil des années, sous la pression d’un mouvement de concentration inédit de la filière.
Ce dernier pourrait à présent s’ouvrir à une nouvelle phase de par les difficultés de transmission rencontrées par les meuniers indépendants : non seulement l’école de meunerie française forme peu de nouveaux professionnels, mais l’investissement nécessaire pour reprendre de telles entreprises et les moderniser a de quoi décourager banquiers et profils sensibles à l’ancrage territorial de ces outils de production.
Dans plusieurs dizaines de localités françaises, des meuniers font perdurer des traditions familiales transmises de génération en génération.
Leur engagement permet d’entretenir une filière courte et locale : avec des blés souvent acquis au plus près de l’outil de production et des farines distribuées auprès des artisans boulangers-pâtissiers environnants, ces acteurs indispensables sur le chemin allant du grain au pain ont très tôt développé des démarches aujourd’hui vantées pour leur caractère vertueux et moderne.
Pourtant, leurs entreprises peinent à séduire de nouvelles générations.
À La Crèche (Deux-Sèvres, 79), Gaëtan Boiron n’a ainsi reçu que six visites en deux ans, à la suite de la mise en vente de son moulin. Pourtant, le site ne manque pas de charme : installés depuis 1930, les équipements de mouture peuvent utiliser la force hydraulique de la Sèvre Niortaise aux périodes où son débit est suffisant. De quoi faire de précieuses économies d’énergie, de l’ordre de 15 à 20 % de la consommation totale selon le chef d’entreprise.
Des outils nécessitant des investissements et un repositionnement commercial
Si le charme de l’ancien est souvent mis en avant, il peut ici être un élément défavorable dans le processus de choix de potentiels acquéreurs : le moulin écrase aujourd’hui une centaine de tonnes de farine par an, à destination des artisans boulangers mais également des moyennes et grandes surfaces à proximité.
Pour développer l’activité, des investissements pourraient être nécessaires à court et moyen terme, ce qui alourdirait la facture.
Ce n’est pas le seul obstacle auquel est confronté le meunier de 67 ans : Gaëtan Boiron rencontre des profils parfois peu initiés aux réalités du marché et aux spécificités de l’activité de fabrication de farine.
700 000 euros sont nécessaires pour réaliser l’acquisition de l’outil de production et de l’habitation attenante… ce qui implique de recourir à un financement bancaire, dont l’obtention est complexifiée par la frilosité du secteur.
Cette passation de génération, vécue ici dans les Deux-Sèvres, n’est pas un cas isolé : dans les années à venir, plusieurs adhérents du groupement Petits Moulins de France, auquel appartient la Minoterie Boiron, seront concernés par une telle problématique.
À La Crèche, le meunier a tranché : s’il ne parvient pas à trouver un acquéreur d’ici la fin de l’année, il cessera son activité. Son confrère Sylvain Marceau s’est, quant à lui, résolu à cette issue : malgré ses efforts, le Moulin d’Aron (Crux-la-Ville), dernier outil meunier encore en activité de la Nièvre (58), a été mis à l’arrêt fin septembre.
Une aventure débutée au XIXe siècle qui s’achève avec le départ à la retraite du chef d’entreprise… contraignant ses clients, représentant un volume d’écrasement de 250 tonnes annuelles, à se tourner vers un nouveau partenaire.
Un mouvement remettant en cause des filières locales
Cette problématique concerne l’ensemble de la filière, puisque les agriculteurs voient leurs débouchés se réduire au travers de ces fermetures. À Crux-la-Ville, Sylvain Marceau s’approvisionnait à seulement 1 km de son moulin et livrait sur un rayon de 60 km.
Adieu filière locale, bonjour flux logistiques sur des distances parfois longues.
Cela interroge également quant à la possibilité pour les artisans de s’approvisionner auprès d’entreprises partageant des valeurs communes, avec la volonté de leur apporter le service nécessaire pour le maintien d’une boulangerie artisanale indépendante au sein des nombreux territoires ruraux que compte la France.
Faire connaître le métier de meunier pour attirer un plus large public
La survie de la meunerie indépendante tient également à sa capacité à restaurer son attractivité sur le marché du travail : « Notre métier demeure méconnu », regrette François Giraudineau, récemment élu à la tête du groupement Petits Moulins de France, qui rassemble 60 meuniers indépendants.
Historiquement, la transmission se réalisait sans difficulté au sein des familles : « À présent, nous devons faire valoir la proximité et démontrer que nos entreprises ont une carte à jouer au sein des territoires. »
Ainsi, des salariés d’une entreprise de meunerie peuvent parvenir à prendre la tête de la structure, avec l’aide des dirigeants en place. C’est également le cas pour des profils en reconversion professionnelle.
« Nous participons à nourrir la population au quotidien : au travers du pain, qui est un produit vivant et fait partie de la vie des Français, nous touchons beaucoup de compétences et d’aspects de la société. La filière a à la fois les pieds dans la terre et les mains dans la mécanique ou l’informatique, ce qui démontre la richesse du métier. »
Pourtant, le grand public reste attaché pour une bonne part à l’image d’Épinal du moulin à vent et ses ailes si caractéristiques.
« La meunerie ne doit pas être regardée avec dédain, défend le chef d’entreprise, au travers de notre activité les jeunes peuvent retrouver du sens à leur action en participant à bâtir des filières et démarches locales. »
Plus que jamais, l’artisan boulanger a un rôle à jouer dans la défense de cette meunerie indépendante, en valorisant le partenariat entretenu avec son fournisseur et en expliquant à ses clients « le pouvoir dont ils disposent dans l’évolution de la filière blé-farine-pain en achetant des produits ancrés dans les régions ».