CONSOMMATION
La filière Bio face à une chute brutale et douloureuse
Le Bio risque-t-il de redevenir une niche dans le paysage très fractionné de la consommation, réservée à quelques individus engagés ou aisés ? La perspective inquiète toute une filière, qui s'était structurée pour répondre à une demande en forte croissance. La situation s'est renversée depuis 2021 : si les espoirs s'orientaient initialement vers une reprise, même timide, après un "accident" ponctuel, il n'en a rien été. Ainsi, les ventes du Bio ont reculé de 6,3% entre janvier et septembre 2022... alors même que l'offre française est à présent suffisante pour répondre aux besoins intérieurs, notamment sur le blé.
Cette véritable crise a plusieurs origines : si l'inflation est souvent mise en avant pour expliquer le phénomène, elle n'est pas la seule cause de ce recul. Les prix du Bio ont toujours été plus élévés que ceux de l'agriculture conventionnelle, avec une différence allant de 15 à 75% en fonction des produits. Seulement, le consommateur veut avoir des garanties sérieuses pour conforter son choix : le label répond à un cahier des charges précis, portant sur les méthodes culturales ou d'élevage... sans garantir pour autant la qualité gustative ou nutritionnelle du produit fini. De nombreuses entreprises se sont positionnées sur ce marché pour profiter de sa croissance avec des niveaux d'engagement variables, participant à mettre à mal la confiance que portaient les clients au fameux sceau vert apposé sur les emballages et vitrines. Dans le même temps, la production locale a été mise en lumière, profitant de l'effet loupe qu'a généré la période de pandémie du fait de la limitation des déplacements imposée à l'ensemble de la population. Le caractère humain des relations entretenus avec ces produits fabriqués à proximité rassure, alors même que la véracité des engagements en terme de qualité n'est pas toujours assurée.
Face à un tel péril, la stratégie des entreprises diffère en fonction de nombreuses variables. Si la pédagogie est privilégiée par des acteurs de la distribution spécialisée tels que Biocoop, les enseignes généralistes préfèrent reculer en réduisant leur offre ou en limitant sa visibilité au sein des points de vente. Naturalia, pionnier du Bio depuis 1973 et filiale du groupe Casino, envisage quant à lui d'ouvrir ses rayons à des produits "naturels", en dehors de la certification Agriculture Biologique, pour sortir des frontières imposées par le dispositif et s'ouvrir ainsi à une nouvelle clientèle.
Côté agriculture, les doutes sont tout aussi prégnants. Certains grands opérateurs incitent les producteurs à rebrousser chemin et à revenir vers une agriculture conventionnelle, faute de débouchés garantis et de convictions profondes. Les efforts conséquents que demande cette méthode de culture pourraient ne plus être rémunérés à leur juste valeur, ce qui finirait par en réduire considérablement l'attractivité.
La filière blé-farine-pain n'est pas épargnée par ces problématiques. Alors même que les agriculteurs, coopératives (telles que Biocer) et meuniers avaient investi pour se structurer et répondre aux besoins d'un marché qui s'annonçait florissant, le pain Biologique pourrait ne pas être l'eldorado promis. L'importation de grains, souvent depuis l'Europe de l'Est, a longtemps été indispensable pour couvrir les besoins du marché français, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Des entreprises telles que les Moulins Soufflet (avec leur site 100% Bio de Lozanne (69), les Moulins Familiaux (dont les Moulins de Brasseuil comptent parmi les acteurs historiques du Bio) ou encore les Moulins Bourgeois ont misé sur cette filière avec des outils de production performants et capacitaires, ainsi que des silos de stockage dédiés permettant de garantir qualité et régularité aux boulangers.
Dans le même temps, l'offre en pain Bio s'est développée, avec l'arrivée de références à bas coût en grande distribution. En l'absence d'éléments de compréhension clairs et tangibles, le client final ne disposait plus d'outils de choix suffisamment puissants : au delà de la certification, c'est l'ensemble d'un processus de transformation (fermentation au levain naturel, absence d'additifs, ...) et la garantie d'une origine locale (ou française) sur lesquels il est indispensable d'offrir des garanties et de la transparence.
Plutôt qu'un étendard ou un outil marketing, l'utilisation de farines Biologiques pourrait également s'inscrire dans une démarche globale et cohérente d'approvisionnement, sans faire l'objet d'une publicité spécifique en boutique : la qualité de la relation entretenue entre un client et son artisan boulanger demeurera toujours plus importante qu'un quelconque label.