CONSOMMATION
Comment faire progresser le pain Bio malgré la crise de la filière ?
Une "pause" dans la croissance de la Bio ne saurait remettre en question des convictions entretenues depuis plus de 40 ans. Ce mercredi 28 juin, A l'occasion de sa journée consacrée à la filière qui façonne son activité depuis 1979, la Minoterie Suire avait choisi de porter un message fort et clair auprès de ses clients, fournisseurs et partenaires, tous réunis au coeur du berceau historique de l'entreprise familiale des Girardeau, le site du Feuillou, au bord de la Sèvre nantaise. L'intitulé de l'événement n'aurait pu être plus clair : "Faites de la Bio". Une invitation et un savoureux clin d'œil à l'histoire de l'entreprise, qui "fêtait" un anniversaire reculé par les contraintes liées à la situation sanitaire passée.
Près de 200 professionnels avaient fait le déplacement pour étudier les perspectives offertes par la filière Agriculture Biologique dans un contexte perturbé. L'enjeu est aujourd'hui de pérenniser l'engagement des différents acteurs, allant du champ à l'assiette, en leur assurant des débouchés et une parfaite valorisation de leurs efforts. Pour y parvenir, la Minoterie Suire mise sur son outil de production "unique en Europe", doté de 22 paires de meules en silex naturel, et une vision du "bon pain" entretenue depuis la création de l'entreprise "Le "bon pain" est culturel chez les Moulins Associés" témoigne Bertrand Girardeau "Quant à notre engagement dans la filière Bio, il est basé sur des convictions historiques et pas de l'opportunisme. J'ai été sensibilisé très tôt sur ce sujet par Louis Réthoré, fondateur de Biofournil, qui m'a montré l'intérêt des pratiques naturelles et respectueuses de l'Homme et de l'environnement portées par cette démarche". Ainsi, le chef d'entreprise a fait le choix de dédier l'activité de la Minoterie Suire au Bio, après le déménagement du site de Montaigu (85) vers Boussay (44), permis par la construction du Moulin du Fromenteau.
Une approche globale mise en difficulté
Malgré ses engagements, l'Agriculture Biologique recule dans l'alimentation des français, passant de 6,5% en 2021 à 6% en 2022, après des années de croissance continue. "Malgré tout, la Bio s'est démocratisée ces 5 dernières années, ce qui est positif" rappelle Raphaël Houlon, directeur commercial et marketing au sein des Moulins Associés. Au delà de l'inflation, qui a été plus faible sur cette filière que sur les produits conventionnels, la démarche et ses logos verts souffrent d'un déficit d'image, notamment face aux références "locales". Pourtant, les bénéfices de la Bio commencent à être connus et reconnus. Charles Pernin, délégué général du Synabio (représentant les intérêts des distributeurs et transformateurs de la filière), a défendu "l'approche globale que porte l'Agriculture Biologique, qui va embarquer la plupart des enjeux, sur la matière de produire et de transformer. Cela traite ainsi des problématiques plus vastes que le seul climat". Pour mener son action, le Synabio met en avant le rapport de la Cour des comptes sur le soutien à l'Agriculture Biologique, publié en 2022. Biodiversité, qualité de l'eau, fertilité des sols, ... autant de sujets sur lesquels l'institution a partagé des éléments concrets sur plus de 300 pages "La Bio est le meilleur moyen de réussir la transition agro environnementale, tout en préservant la souveraineté alimentaire de nos territoires si des adaptations sont réalisées sur les assiettes des européens (réduction de la part de la viande, limitation du gaspillage alimentaire)".
Communiquer pour mieux faire porter les messages de la filière
Pour reprendre la main et s'affirmer comme "le seul choix d'avenir", comme le porte Didier Perreol, président du Synabio, la communication sera un effort indispensable. Ainsi, le consommateur doit être rassuré sur la qualité des produits et ainsi que leur provenance "Des campagnes ont été engagées, avec notamment #BioRéflexe, qui sera suivie par d'autres pour adresser l'ensemble des canaux de consommation, notamment les collectivités où l'obligation d'introduire 20% de produits Bio dans l'alimentation en milieu scolaire, mise en place dans la loi EGALIM, n'est pas respectée. Cela doit nous permettre de faire la différence avec d'autres labels tels que Haute Valeur Environnementale (HVE) ou Zéro Résidu de Pesticides (ZRP), dont les engagements sont très discutables.". Cet engagement doit se prolonger en boutique, avec des éléments de Publicité sur le Lieu de vente (PLV) tels que ceux proposés par la Minoterie Suire ou des structures régionales telles que l'INTERBIO Pays de la Loire. Cela sera-t-il suffisant ? Rien n'est moins sûr "Nous n'avons pas de solution simple et certaine" reconnaît Marc Barré, directeur général de Biofournil, un des pionniers du pain Biologique, dont l'activité est fortement impactée par la baisse de consommation, aussi bien en grande distribution qu'au sein des réseaux spécialisés "Plus d'argent devrait être consacré par les pouvoirs publics afin de détailler les avantages de la Bio auprès du grand public". Le dirigeant, accompagné par la Minoterie Suire (où il a oeuvré pendant plusieurs années), mise sur l'association de deux éléments fondamentaux pour faire la différence "Pour faire du pain bio, il faut de bonnes farines et du savoir-faire". Dans un contexte de tension sur la main d'œuvre qualifiée, la formation des équipes se révèle plus que jamais indispensable.
Pour faire du pain Bio, il faut de bonnes farines et du savoir-faire. Marc Barré, directeur général de Biofournil
Les farines sur meule de pierre, des "pépites nutritionnelles" valorisées par les artisans boulangers
20 000 tonnes sur les 44 000 que représentent la production de la Minoterie Suire, pour un chiffre d'affaires de 32 millions d'euros, sont consacrées aux farines écrasées sur meules de pierre. L'entreprise s'emploie à préserver ce savoir-faire en le transmettant à l'équipe de 6 meuniers présente sur le site, qui opère 7j/7 et 24h/24 "Leur niveau d'engagement est exceptionnel à l'échelle de la meunerie" s'enthousiasme Bertrand Girardeau "Nous ambitionnons d'obtenir le titre d'Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) pour une meilleure reconnaissance de notre spécificité". "La farine de meule est un produit différent" précise Bruno Texier, responsable technique des Moulins Associés "elle contient naturellement le germe de blé, ce qui la rend plus nutritive, mais aussi plus de matière minérale. L'endommagement de l'amidon réalisé par les meules favorise également la fermentation". Une fermentation menée sur levain naturel est le prolongement logique de l'engagement développé dans les champs et au moulin : en plus d'améliorer le goût et la conservation des produits de panification, elle participe à garantir la densité nutritionnelle du pain "Les boulangers ont le pouvoir de rendre disponibles les nutriments aux consommateurs" décrit Caroline Masson, ingénieure en sciences des aliments, consultante en meunerie, boulangerie et biscuiterie "Le germe de blé est la pépite nutritionnelle du grain de blé : vitamines, minéraux, acides gras essentiels... autant d'éléments préservés par la mouture sur meule. Il faut adapter les méthodes de panification pour ces farines afin de fabriquer des pains digestes et à haute valeur nutritionnelle".
Des pains beaux et bons pour une alimentation de qualité
Des convictions partagées par Bertrand Girardeau, qui a inscrit dès 2020 l'ambition de participer à une alimentation durable et de qualité dans la mission des Moulins Associés à horizon 2030 "Nous avons une responsabilité d'industriels (parce que nous en sommes en tant que meuniers !) de mieux nourrir la population. Cela passe par l'optimisation de nos farines et l'intégration de fibres dans les pains, y compris ceux où elles sont d'ordinaire peu présentes, comme le pain de mie. Au Québec, nous écrasons des "blés blancs" dont la clarté des enveloppes permet de réduire l'impact visuel sur le consommateur tout en lui garantissant des produits plus nutritifs. Ce sont des pistes de travail sur lesquelles nous souhaitons nous engager, en impliquant les 11 formateurs de l'Atelier M'Alice ainsi que notre équipe de Recherche et Développement (R&D)... sans jamais oublier que les produits doivent être beaux et bons pour fidéliser la clientèle !" Le rôle central du meunier, véritable interface de confiance entre le monde agricole, les boulangers et les consommateurs finaux, est mis à l'épreuve face à l'élévation du niveau d'exigence de chaque acteur. "Pour accompagner l'évolution de la filière, nous souhaitons nous rapprocher de nos clients et transmettre notre savoir-faire en participant à des outils de production de taille adaptée, comme nous l'avons fait au Québec : l'export de farine à travers le monde a ses limites".
Le pain Bio doit crever le plafond des habitudes de consommation
Cet effort au service de l'alimentation semble cependant se heurter à des limites conjoncturelles et structurelles : les produits Bio, et par extension le pain issu de cette même filière, sont considérés comme chers (une étude des Echos sur le marché de la boulangerie industrielle notait en 2021 que 33% des consommateurs jugeaient le pain Bio plus cher) "La meunerie française écrasait 195 000 tonnes de blé Bio en 2022, ce qui représente seulement 5% des volumes totaux. Nous avons de grandes perspectives d'évolution et un certain retard vis à vis de plusieurs de nos voisins européens tels que la Suisse, l'Allemagne ou le Danemark. Cependant, certains indicateurs sont positifs : la consommation de pain Bio s'est bien maintenue en 2022, représentant 7,6% du marché, contre 7,7% un an plus tôt. Le marché est résilient." détaille Raphaël Houlon. Un constat qui s'explique notamment par le fait que la filière n'est pas entrée dans les habitudes alimentaires d'une grande partie des Français "Le profil du consommateur Bio correspond aujourd'hui à celui d'un jeune professionnel diplômé (bac+4/5), âgé de 25 à 44 ans, avec un revenu supérieur à 2000 euros/mois" détaille Sophie Auffret, membre de l'équipe marketing de la Minoterie Suire. Pourtant, le pain Bio est en capacité de toucher un public beaucoup plus large : il correspond à la montée en gamme de l'offre produits, observée depuis plusieurs années "Cela permet de faire face aux crises et de répondre aux attentes des consommateurs". Son déploiement tient à l'implication de l'ensemble des acteurs du marché "Il y a un lien fort entre les boulangers et leurs meuniers, beaucoup n’y croyaient pas et ça explique un certain retard. C’est en train de changer : un marché dépend de l’ensemble des intervenants économiques. Il faut que les boulangers, les meuniers, les organismes stockeurs et coopératives "vendent le bio" : cela permet au marché de se développer." ajoute Marc Barré. Une des craintes de la filière est d'observer des déconversions de certains agriculteurs, découragés par l'absence de valorisation de leur travail dans un contexte perturbé. Pour l'heure, le risque s'est peu matérialisé sur le terrain, même si le retour de la croissance semble indispensable, comme le décrit Didier Perreol "De nombreux jeunes veulent s'installer uniquement en Agriculture Biologique. Nous pensons également que la filière est un bon outil pour transmettre les exploitations, apportant plus de sens et préservant la santé des agriculteurs... mais il faut que la consommation suive."
Le pain Bio 100% français, une évidence depuis 2021
Le manque de blé Bio français a longtemps contraint les meuniers à importer pour répondre à leurs besoins. Ce n'est plus le cas depuis 2021, et la récolte 2023 promet d'être à nouveau excédentaire. "Nous continuons à innover dans les pratiques culturales pour garantir la qualité des blés : binage au plus près des céréales (à moins de 15cm), symbiose avec les légumineuses ou le trèfle pour l'apport en azote (ce qui garantit de bons taux de protéines, ndlr)..." décrit Alban le Mao, responsable filière Bio au sein de la CAVAC. La coopérative agricole a co-construit la filière Bio régionale avec la Minoterie Suire, dans une logique de partenariat et de proximité. Ainsi, il est à présent possible de garantir un pain Bio et local aux consommateurs, ce qui est un gage supplémentaire de qualité et pourra porter l'attrait de la clientèle pour ce dernier. La réussite de boulangers tels qu'Yves le Signor, installé à Saint-Thonan (29), en est une puissante démonstration "Nous sommes en progression constante depuis 17 ans. L'an passé, nous avons déménagé pour disposer d'un point de vente fixe, en plus des marchés et des distributeurs partenaires (magasins spécialisés, épiceries...). En développant des innovations associant notre savoir-faire boulanger et de nouveaux ingrédients (tels que les super-aliments que sont les graines ou les fruits secs), nous sommes persuadés qu'il est possible de continuer à faire grandir la filière Bio". "La filière Bio a la plus grande capacité d'innovation de l'agro-alimentaire" défend Didier Perreol, qui prend pour exemple les nombreuses références atypiques disponibles en distribution spécialisée, telles que le Kombucha au rayon boissons.
Faire du Bio, le faire bien, c'est le slogan de la Minoterie Suire depuis plusieurs années. Une phrase qui trouve tout son sens aujourd'hui, en y associant des valeurs fortes telles que celles portées par l'entreprise depuis sa création, la capacité de la filière à agir dans l'intérêt du collectif et en misant sur l'innovation... pour envisager un avenir durable et savoureux.