Perspective
Un avenir en pointillé pour la filière blé-farine-pain biologique
Les espoirs de pouvoir apprécier la vie en vert dans un avenir proche ont été déçus par le retournement brutal observé depuis 2021 sur le marché des produits certifiés Agriculture biologique. Alors que la filière s’était structurée, autant en amont qu’en aval, pour faire face à une forte croissance de la demande, les ventes ont commencé à chuter… avec une poursuite de la tendance sur 2022, excluant de fait toute forme d’accident ponctuel. Ainsi, les ventes du bio ont reculé de 6,3 % entre janvier et septembre 2022… alors même que l’offre française est à présent suffisante pour répondre aux besoins intérieurs, notamment sur le blé.
L’inflation n’est pas la seule explication du phénomène, même si les prix (supérieurs de 15 à 75 % selon les références vis-à-vis du conventionnel) ont un impact sur les arbitrages de consommation actuels.
De nombreux consommateurs se sont tournés vers des acteurs locaux pour leurs approvisionnements pendant la période de crise sanitaire, et ce phénomène s’est amplifié : cela exprime une forme de solidarité envers ces producteurs en plus d’offrir un sentiment de sûreté offert par la proximité et la possibilité de connaître la réalité des engagements de l’entreprise.
L’arrivée de la grande distribution sur le marché du bio, qui en représente aujourd’hui plus de 50 %, « a étiolé la confiance dans le label » selon Pierrick de Ronne, président du spécialiste Biocoop, qui répondait aux questions du média Euractiv. Associé à l’industrie agroalimentaire, le bio a été utilisé comme un « levier de croissance » tout en lui permettant de sortir du statut de niche.
Des efforts de structuration balayés par la crise
La filière blé-farine-pain n’est pas épargnée par ces problématiques. Alors même que les agriculteurs, les coopératives (telles que Biocer) ainsi que les meuniers avaient investi pour se structurer et pour répondre aux besoins d’un marché qui s’annonçait florissant, le pain biologique pourrait ne pas être l’eldorado promis. L’importation de grains, souvent depuis l’Europe de l’Est, a longtemps été indispensable pour couvrir les besoins du marché français, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Des entreprises telles que les Moulins Soufflet – avec leur site 100 % bio de Lozanne (69) –, les Moulins Familiaux (dont les moulins de Brasseuil comptent parmi les acteurs historiques du bio) ou encore les Moulins Bourgeois, ont misé sur cette filière avec des outils de production performants et capacitaires, ainsi que des silos de stockage dédiés permettant de garantir qualité et régularité aux boulangers.
Malgré leur engagement de longue date dans une démarche vertueuse, des acteurs historiques du marché tels que Patibio, boulangerie spécialisée bio placée en procédure de sauvegarde fin 2022, sont entraînés dans la tourmente. Ces incertitudes pourraient convaincre des agriculteurs à revenir en arrière, faute de débouchés pour leurs productions.
Vers quel pain biologique s’orienter ?
L’offre en pain bio s’est développée, sur l’ensemble des canaux de distribution. En l’absence d’éléments de compréhension clairs et tangibles, le client final ne disposait plus d’outils de choix suffisamment puissants : au-delà de la certification, c’est l’ensemble d’un processus de transformation (fermentation au levain naturel, absence d’additifs, …) et la garantie d’une origine locale (ou française) sur lesquels il devient indispensable d’offrir des garanties et de la transparence.
L’enjeu pour Pierrick de Ronne est de parvenir à bâtir une bio « exigeante équitable », devenant « un vrai projet de société » en apportant une « une réponse à la souveraineté alimentaire » de par la qualité des produits, des efforts de relocalisation des filières et de respect des paysans.
De quoi rebâtir, en association avec les transformateurs que sont les boulangers et meuniers, un pain vertueux de bout en bout… l’essentiel étant de faire face aujourd’hui aux crises en cours pour être capable de dessiner l’avenir et proposer, au-delà du label, des produits nourrissant le corps et l’esprit.