CONJONCTURE
L'inquiétude grandit en meunerie, malgré la baisse du blé
Si les grains étaient la préoccupation majeure des meuniers en 2022, la situation pourrait être bien différente pour cette nouvelle année.
Le marché du blé a en effet considérablement évolué ces dernières semaines : la crainte d'une pénurie s'est effacée, allant même à l'opposé. L'Australie s'attend à une récolte record, dépassant les 40 millions de tonnes, et l'Inde se montre optimiste quant à sa future campagne grâce à des conditions météorologiques favorables. De plus, la Russie continue d'écouler son large stock, avec notamment la signature récente d'un contrat égyptien. Enfin, les inquiétudes géopolitiques liées à la situation en Ukraine se sont peu à peu dissipées grâce au corridor maritime mis en place pour les exportations, lequel aurait permis le passage de 17 millions de tonnes de grains d'Ukraine depuis le 1er août.
Conséquence directe : le cours du blé, défini à Chicago, est tombé ce 10 janvier 2023 à son plus bas niveau depuis septembre 2021, soit depuis plus de 27 mois... une tendance similaire pouvant être observée sur le marché Euronext, avec un prix de 290 euros la tonne, notamment sous l'effet de la faiblesse de l'euro face au dollar.
Malgré cette bonne nouvelle, la situation des meuniers est doublement critique, sous l'effet de l'envolée des prix de l'énergie.
Leurs outils de production, énergivores par conception (les moulins étant aujourd'hui majoritairement raccordés au réseau électrique), génèrent des factures sans cesse plus conséquentes. Thomas Maurey, dirigeant des Moulins Familiaux (Moulins de Chars, Moulins de Chérisy, Moulins de Brasseuil, Moulin Paul Dupuis), annonçait la semaine passée devoir faire face à une facture d'énergie atteignant jusqu'à 3,5 millions d'euros en 2023, contre 500 000 en 2021. Une situation qui impose au chef d'entreprise d'engager un gel des investissements prévus, reportant à 2024 des opérations de renouvellement d'équipements âgés de plus de 40 ans.
En Normandie, la situation du Moulin d'Auguste, situé aux Andelys (27), se révèle encore plus tendue : Sébastien Dutacq a été contraint de contracter un emprunt "pour anticiper les choses" et pallier à des difficultés liées à des factures tout aussi conséquentes. Le meunier, dont le contrat avec TotalEnergies s'achevait au mois de décembre 2022, a cherché une solution dès l'été... en vain, puisqu'aucun énergéticien ne souhaitait se positionner afin de l'approvisionner. Seul EDF a proposé une solution, imposant à Sébastien Dutacq "Une signature sous la contrainte, sans aucune concurrence". En décembre, l'entreprise a du régler 37 410 euros pour son énergie, alors que le montant s'élevait à 10 000 euros un an plus tôt. Si une réorganisation de la production est envisagée afin d'éviter les périodes de pic de consommation, avec du travail de nuit, la situation est d'autant plus difficile à assumer pour le chef d'entreprise alors même que son activité est en développement et qu'il ne souhaite pas dégrader la qualité du service rendu à ses clients, excluant de fait tout licenciement.
Au delà de la complexité de gestion induite par ces événements, les meuniers doivent également faire face au risque de la disparition d'une partie de leur clientèle : avec les nombreuses fermetures annoncées en boulangerie artisanale, c'est toute la vie de la filière qui se trouverait impactée. Si de nombreux acteurs du marché sont positionnés sur plusieurs typologies de transformateurs (artisans, industriels, réseaux de boulangeries...), les plus exposés seraient alors ceux ayant fait le choix de ne s'adresser qu'aux seuls indépendants, comme Foricher les Moulins, les Moulins Bourgeois ou encore les Moulins Viron.
De quoi inciter la meunerie à se joindre aux artisans pour réclamer des mesures fortes, telles que le plafonnement du prix de l'énergie à 280 euros/MWh en moyenne promis aux boulangers début janvier et auxquels les moulins souhaiteraient pouvoir prétendre, afin d'assurer la pérennité du long chemin allant du grain au pain.