L'Epiphanie, toujours reine du mois de janvier ?

Le mois de janvier annonçait chaque année une période faste pour les artisans boulangers-pâtissiers et leurs clients : la galette des Rois séduisait autant les professionnels que les amateurs de gourmandises feuilletées grâce à de confortables marges, tout en offrant un produit convivial, festif et néanmoins accessible.
Accessible : l'adjectif s'applique de moins en moins à une référence dont la recette fait appel à des matières premières dont les prix ont considérablement augmenté ces dernières années. Si le beurre a augmenté de plus de 30% en 2022, ce n'est pas le seul concerné : les oeufs, sous tension en raison de la grippe aviaire, la poudre d'amande, la farine ou même le sucre se négocient à des niveaux de tarif atteignant des sommets. Si la fève fait le bonheur des fabophiles, elle se fait elle aussi de plus en plus coûteuse, qu'elle soit française ou importée depuis l'étranger. En fonction de la série choisie et du niveau de détail, son prix unitaire peut atteindre ou avoisiner les 1 euros... à additionner avec l'emballage et la couronne, deux éléments indispensables pour que la fête soit réussie.
Encore une fois, l'énergie a également un impact du fait du temps de cuisson nécessaire pour chaque produit.

Célébrée ce vendredi 6 janvier, l'Epiphanie est ternie par un contexte toujours plus tendu. Les matières premières ne sont pas les seuls éléments rendant la réalisation d'une galette particulièrement complexe, alors même que le gâteau était apprécié des artisans de par la possibilité de le réaliser en série, de façon très rationnelle. Le manque de main d'oeuvre qualifiée s'impose comme un autre point noir : un feuilletage de qualité, assurant un rendu parfait à la cuisson, demande un certain savoir-faire... qui se raréfie au fil des années, tout comme la capacité à développer un parfait équilibre entre la garniture (réalisée au choix à base de frangipane ou de pure crème d'amandes) et l'enveloppe croustillante. Autant de qualités qui finissent par se monnayer en boutique : il n'est pas rare que le prix à la part atteigne voire dépasse les 5 euros, positionnant la galette dans des segments de tarif proches des entremets et autres tartes. Malgré ces hausses, le produit demeure moins rentable que par le passé, et si de nombreuses entreprises attendaient le mois de janvier pour redorer leur trésorerie, la situation est bien différente aujourd'hui.
La compréhension d'un tel niveau de prix passe par un effort de pédagogie à mener en boutique et sur l'ensemble des moyens de communication à disposition des entreprises (affiches, réseaux sociaux, site internet...). Dans cette logique, il convient de ne pas orienter le message sur le seul aspect des matières premières : la clientèle doit comprendre que derrière chaque galette se cache un travail manuel, demandant du temps et de la rigueur. Ce produit doit être "humanisé" pour renforcer le lien avec ce dernier et sa production dans un laboratoire artisanal. 

Près de 30 millions de galettes sont vendues chaque année en France. Si la saveur unique des galettes artisanales demeure appréciée par les consommateurs, ils sont toujours plus nombreux à se tourner vers des offres à bas coût, comme en témoigne le succès des références d'entrée de gamme en grande distribution. En 2022, le panéliste Kantar Worldpanel avait analysé ce marché, où le discounter Lidl s'est imposé en atteignant les 15% de part de marché volume sur les galettes des rois traditionnelles à la frangipane, devançant des entreprises telles que Leclerc, Système U ou encore Carrefour. L'agressivité tarifaire, associée à un marketing bien rodé, participe à attirer les clients : la galette des Rois devient un produit d'appel, et le consommateur achète plus un prix qu'un produit... avec la perspective de pouvoir remporter un lot alléchant, grâce à des "tickets d'or" cachés dans les galettes millésime 2023 du distributeur allemand, détenu par la famille Schwarz. Des outils marketing qui inspirent l'artisanat : les concours participent depuis plusieurs années à dynamiser l'Epiphanie chez de nombreux professionnels, avec des fèves gagnantes et des tirages au sort. Si les marges sont plus faibles, la période demeure un moment privilégié pour fidéliser la clientèle.