CONJONCTURE
La solidarité doit-elle sauver les boulangeries ?
Depuis le début de l'année, les cagnottes se sont multipliées afin d'aider les artisans boulangers-pâtissiers à faire face à l'explosion de leurs charges. Cet élan de solidarité témoigne d'un attachement profond d'une partie des consommateurs français à leurs commerces de proximité, ainsi qu'aux entreprises artisanales et indépendantes. Il s'inscrit dans le prolongement des dispositifs mis en oeuvre par un nombre croissant de collectivités locales, qui font l'acquisition de locaux et financent leur aménagement afin de faciliter l'installation d'un boulanger au sein de leur territoire.
Si la pratique se répand, elle n'est pas nouvelle pour autant en boulangerie. Plusieurs artisans l'ont déjà expérimentée au travers de campagnes de financement participatif, afin de financer des investissements ou de compléter un apport personnel. Cela concerne majoritairement des profils en reconversion professionnelle, maîtrisant mieux la communication et des outils numériques tels que Kiss Kiss Bank Bank, qui a accueilli plusieurs projets liés au pain. La plupart des campagnes parviennent à atteindre leur objectif, voire même le dépasser largement.
Ces succès populaires sont autant de signaux positifs pour ces entrepreneurs souhaitant lancer ou développer leur activité. Ils mettent cependant en lumière la difficulté d'obtenir des financements adaptés auprès des partenaires traditionnels que sont les établissements bancaires, parfois peu enclins à accompagner des profils atypiques ou des investissements pourtant nécessaires au bon fonctionnement d'une entreprise de boulangerie artisanale.
La solidarité est un outil utile pour traverser des perturbations conjoncturelles. Cependant, elle ne répond pas aux problématiques profondes qui traversent la profession, comme la baisse de consommation de pain, la nécessité d'investir massivement pour améliorer l'efficience énergétique et le confort de travail des fournils ou encore les difficultés croissantes des artisans à faire face à leurs charges, un fait bien plus ancien que la crise énergétique. Si l'on peut saluer l'engagement des communes qui investissent pour dynamiser leurs centre-ville au travers de la présence d'un boulanger, la question du volume d'affaires nécessaire pour assurer la viabilité du commerce n'est pas suffisamment posée. De plus, ces projets étant pilotés par des acteurs en dehors du marché et de ses spécificités, ils sont parfois mal dimensionnés par rapport au modèle qui serait pertinent face à la configuration locale.
La proximité entre un boulanger et ses clients pourrait être, à terme, mieux employée afin de garantir le maintien d'un approvisionnement en pain artisanal dans les zones rurales. Des exemples dépassent le cadre de la seule solidarité, comme à Uzeste (33), où les habitants se sont associés au sein d'une coopérative pour faire renaître et vivre une boulangerie au sein de leur village. Pour les entrepreneurs en activité ou souhaitant s'installer, une connaissance pointue de leurs clients et du territoire sont indispensables afin de comprendre les besoins et attentes de chacun, et ainsi adapter son offre en conséquence. Diversification ou au contraire recentrage sur des produits "de base", chaque solution demeure à bâtir localement.