Conjoncture
La meunerie invente et réinvente son métier
Si les meuniers ont eu du grain à moudre au cours des derniers mois, leur engagement au service de la filière n’a pas failli : de la crise sanitaire aux conséquences du conflit russo-ukrainien, l’ensemble de ces acteurs a agi avec responsabilité, tout en ayant à cœur de préserver la qualité des produits et la durabilité d’un maillon essentiel de la longue chaîne allant jusqu’au pain. Entretien avec Anne-Céline Contamine, directrice générale de l’Association nationale de la meunerie française.
Arrivée au sein de l’Association nationale de la meunerie française (ANMF) en juin 2021, Anne-Céline Contamine n’a connu depuis lors que des environnements perturbés, où la défense des intérêts de ces entreprises stratégiques pour le maintien de la souveraineté alimentaire française est essentielle.
« Si la demande s’était naturellement contractée au cœur de la période de pandémie, la filière a retrouvé en 2021 un volume de production de 3,94 millions de tonnes, équivalent à celui observé en 2019. » Une reprise rapidement contrariée par l’envolée des cours du blé « observée dès l’automne 2021, avec un point d’orgue lors du début du conflit ukrainien ».
Ainsi, les grains se négociaient en moyenne à 290 € la tonne (rendu Rouen) en novembre 2021, soit une augmentation de 40 % par rapport à la même période en 2020. Le sommet de 435€/t, atteint mi-mai, a laissé place aujourd’hui à un niveau toujours élevé entre 310 €/t et 350 €/t, avec une forte volatilité.
Pour Anne-Céline Contamine, cette situation a un impact direct sur l’état d’esprit des chefs d’entreprise en meunerie « qui sont 85 % à considérer que leur environnement économique s’est dégradé ces derniers mois », selon le baromètre économie de la meunerie, réalisé à l’aide de données collectées par l’Association nationale des industries alimentaires entre juillet et septembre.
Des efforts de pédagogie indispensables pour répercuter les hausses
Cette explosion des coûts de matière première, conjuguée à celle de l’énergie (électricité, carburant pour la livraison…) se répercute directement sur les prix de farines « dont les hausses ne sont pas toujours comprises par les utilisateurs : en effet, 99 % du blé acheté par les meuniers est français.
Dès lors, le lien semble parfois obscur, même s’il s’explique simplement : les cours sont aujourd’hui mondialisés et régissent l’ensemble des échanges, y compris au sein même d’un pays », explique la directrice générale, qui mène avec l’ensemble des membres de l’ANMF une nécessaire opération de pédagogie.
« Selon l’Insee, l’indice de vente moyen des prix de farine n’a progressé que de 21 % sur un an, ce qui témoigne du fait que les hausses n’ont été répercutées que partiellement. Depuis le début de l’année 2022 : en moyenne, le coût du blé a grimpé de 62 % et celui de l’électricité de 70 % pour nos membres », de quoi fragiliser les entreprises, qui sont mises en difficulté du fait de la contraction de leurs marges.
Pour l’ANMF, les efforts doivent être partagés par l’ensemble des parties prenantes : « la hausse des charges subie par les meuniers doit être répercutée tout au long de la chaîne aux clients jusqu’au consommateur. C’est de cette façon que la filière pourra préserver sa vigueur et son dynamisme. »
Des entreprises ancrées dans leurs territoires, toujours prêtes à investir et à innover
L’association a très tôt alerté le Gouvernement quant aux prix de l’électricité, pour lesquels les dispositifs d’aide étaient inapplicables pour les moulins. Les dernières annonces sont encore très loin de compenser l’impact de la situation.
Les prix de l’électricité sont complétement déconnectés de leur coût de production, et ne sont pas acceptables pour les entreprises dont la rentabilité est remise en cause. La situation les oblige à reporter certains investissements ou à les prioriser sur les outils de production et la décarbonation.
Si on se tourne vers l’avenir, « le développement des filières de qualité impose une transformation des capacités de stockage, avec de nouveaux silos séparés », indique Anne-Céline Contamine, qui insiste également sur « l’effort de digitalisation des entreprises, aussi bien dans les moulins que pour les services attenants ».
La logistique devrait fortement évoluer dans les années à venir, « l’ANMF a commandé une étude pour imaginer la flotte de livraison de demain, afin d’identifier les contraintes de chaque type d’énergie (électrique, à hydrogène…) afin d’accompagner les meuniers dans leurs décisions », ce qui participera grandement à l’effort de décarbonation de la filière.
Les ports de charge sont également un sujet majeur de progrès, avec des outils toujours plus innovants pour les réduire et ainsi améliorer les conditions de travail des livreurs. Partout en France, les meuniers sont des acteurs de l’emploi local et s’ouvrent toujours plus au public afin de faire découvrir des métiers essentiels à l’alimentation mais pourtant méconnus.
La directrice générale de l’ANMF insiste sur les atouts de la meunerie « la proximité avec la terre, l’ancrage dans une filière locale (avec des approvisionnements en grains auprès des agriculteurs à proximité), l’association d’une riche tradition avec des méthodes modernes… autant de bases solides que nous avons à cœur de partager largement, et qui peuvent attirer de nombreux jeunes dans nos métiers, qu’ils peuvent découvrir au travers de visites des moulins ».
Recruter et former pour attirer de nouveaux profils
Comme pour l’ensemble de la filière alimentaire, les problématiques de recrutement se sont intensifiées chez les meuniers ces deux dernières années. Une réalité qui ne saurait devenir une fatalité, grâce à l’engagement de l’association pour faire connaître les métiers du grain.
« Nous réalisons des vidéos explicatives pour attirer les jeunes, en valorisant les perspectives de carrière et d’évolution interne au sein des entreprises », ajoute Anne-Céline Contamine. Côté formation, le BTS produits céréaliers proposé à l’Ensmic de Surgères demeure une voie d’entrée idéale, même si le cursus reste insuffisamment connu du grand public.
La meunerie propose également le CQP conducteur de moulin, qui permet aux collaborateurs de voir leurs compétences reconnues par un titre. « L’ANMF souhaite participer collectivement à faire progresser l’image du métier, en travaillant avec les coopératives, les organismes stockeurs, les clients et tous les acteurs engagés dans la valorisation du grain. »
Un sens de l’intérêt collectif que démontre l’organisation en gérant la convention collective nationale des métiers de la transformation des grains. En 2022, un accord a été signé pour améliorer les conditions de travail de nuit ainsi que la prévention des risques, notamment au travers de nouveaux outils pour les entreprises, des modules dédiés dans les formations…
Une meunerie française toujours forte de sa diversité
342 entreprises de meunerie sont aujourd’hui implantées à travers le territoire, avec de grandes différences de taille. Ainsi, le marché demeure beaucoup moins concentré que dans le reste de l’Europe.
« La relation meunier-boulanger est particulièrement forte, ancienne et riche. Ils partagent un destin commun, avec un engagement mutuel pour la qualité des produits. Les liens qu’ils entretiennent, loin de se déliter, se sont renforcés ces dernières années avec le développement de la formation et des services. »
La transmission de ces entreprises, souvent familiales, est un vrai sujet : il est parfois nécessaire de trouver un repreneur extérieur, favorisant l’émergence de nouvelles entités multirégionales. Rationaliser les outils de production tout en assurant leur renouvellement s’est également imposé à des acteurs majeurs du secteur, contribuant à transformer le paysage meunier.
« Malgré ces changements, la meunerie française reste très diversifiée et ancrée dans les territoires, au plus près de ses clients pour des produits de qualité issus des savoirs-faires de chacun », conclut Anne-Céline Contamine, prouvant encore une fois que l’expression populaire « Meunier, tu dors » ne saurait se vérifier.
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