INFLATION
La baguette va-t-elle (re)devenir un outil d'image-prix ?
La déclaration de Michel-Edouard Leclerc, dirigeant de l'entreprise de distribution éponyme, en ce mardi 11 janvier 2022 n'est pas passée inaperçue : il a en effet annoncé bloquer le prix de la baguette de pain courant à 0,29€ pendant "au moins" six mois, indiquant par la même occasion que certains de ses adhérents vendent le produit moins cher encore, entre 0,23 et 0,27€.
Qualifié de démagogue dans les lignes du journal Challenges, il a également fait réagir les meuniers, producteurs de blés et céréaliers français (ANMF, AGBP, Intercéréales) ainsi que la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF) par le biais d'un communiqué commun, où elles dénoncent une campagne "destructrice de valeur" pour "une filière d'excellence". La pratique a de quoi susciter l'émoi alors que les cours du blé sont au plus haut et que les coûts de production (énergie, salaire...) progressent fortement.
Pour situer le delta entre le prix courant de la fameuse baguette et l'offre développée par le distributeur, il suffit de s'en rapporter aux chiffres de l'INSEE : en 2021, la moyenne du prix demandé pour ce fameux pain était de 0,90 € en France.
La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, a également critiqué la stratégie de Leclerc sur le réseau social Twitter et au cours de ses voeux à la presse : pour elle, l'impact sur les agriculteurs sera non négligeable dans un contexte où leurs revenus n'augmentent pas, en plus de précipiter la chute de nombreuses boulangeries artisanales déjà fragiles.
Un propos confirmé par Dominique Anract, président de la CNBPF, sur le plateau de BFMTV, allant jusqu'à qualifier la pratique de "concurrence déloyale".
Le caractère symbolique de cette offre, et son esprit volontairement affranchi des réglementations mises en oeuvres ces dernières années par le législateur (au travers des différentes itérations de la loi EGALIM), s'inscrit parfaitement dans la logique affichée du groupement : défendre le pouvoir d'achat des consommateurs, notamment au travers de marqueurs forts, comme les opérations "prix coutant" sur le carburant. L'enseigne et son dirigeant ont bien intégré l'importance du pain pour les français, et l'impact psychologique cela pourra avoir : son image-prix sera améliorée, dans un contexte où de nombreux tarifs sont appelés à augmenter à brève échéance. A une époque où la consommation de pain a nettement reculé et où l'alimentation a rarement été aussi peu chère, les ressorts historiques et les luttes passées autour du prix de cet aliment de base restent encore profondément ancrés dans l'inconscient du public.
La grande distribution s'est lancée dans la bataille du pain en souhaitant l'utiliser comme un véritable produit d'appel, s'inscrivant ainsi dans le quotidien de millions de consommateurs. Les incertitudes de notre époque et l'attention portée au contexte d'inflation convergent pour aboutir à une situation où ces entreprises pourront utiliser de nouveau le produit afin d'asseoir leurs positions.