Portrait
Jean-François Feuillette, d’un Cap à l’autre
À la tête du réseau de boulangeries éponyme, ce pâtissier entrepreneur impose son style et son tempo dans un marché en plein développement. S’il semble à l’aise aussi bien au bureau que dans les labos, Jean-François Feuillette sait aussi surprendre en se positionnant là où on ne l’attend pas. Sa reprise de Frédélian, une véritable institution ferret-capienne, en est une nouvelle preuve.
Une histoire de coups de cœur et de rencontres, c’est ainsi que l’homme à la tête d’un solide réseau résume son parcours. Originaire de Meurthe-et-Moselle, Jean-François Feuillette commence son apprentissage à 16 ans. Il est vite repéré lors d’un concours par un artisan boulanger, Marc Rossi, installé à Gérardmer.
Le chef d’entreprise convainc alors le jeune pâtissier de le rejoindre pour mettre en place une gamme sucrée plus élaborée au sein de sa boutique. Au fil du temps, c’est un autre objectif qu’il parvient à dessiner : celui de passer le CAP boulanger, pour compléter son cursus et être un artisan polyvalent.
Il restera en définitive deux ans à Gérardmer et en ressortira avec son diplôme en poche, obtenu au sein de l’INBP. Cette expérience marque le point de départ de l’histoire du futur pâtissier-entrepreneur avec le pain et l’art délicat de la fermentation. Une relation qu’il ne cessera dès lors d’entretenir, y compris lorsqu’il rejoindra des établissements prestigieux comme le George V, à Paris.
Sur ses jours de repos, Jean-François Feuillette aide le boulanger Benoît Maeder, alors installé rue Saint-Charles dans le 15e arrondissement parisien. La relation d’amitié qu’il noue alors avec l’artisan alsacien lui permettra d’obtenir une précieuse recette… celle de la brioche feuilletée, devenue depuis Brioche Feuillette, un des produits phares de son enseigne.
Blois, le point de départ de l’aventure
« J’ai tout de suite été séduit par cette petite boulangerie au pied du château, la plus ancienne de Blois », se rappelle Jean-François Feuillette, qui débute seul en pâtisserie au sein de sa première affaire. Le succès est immédiat et rapidement l’entrepreneur est confronté à plusieurs problématiques : un stationnement compliqué, des locaux exigus… et l’envie de fidéliser son équipe.
Il a alors l’idée de créer un véritable lieu de vie (environ 500 m2), en entrée de ville, une boulangerie accessible où ses deux apprentis pourraient alors évoluer et s’épanouir. Nous sommes en 2009, et 13 ans plus tard la fidélité de ces profils ne s’est pas démentie : Ghislain Courrier est responsable du laboratoire central, tandis que Rémy Sloboda et son épouse ont ouvert plusieurs franchises dans l’est de la France.
La satisfaction client
« C’est notre juge de paix pour l’ensemble de nos choix. Il faut penser à tout pour être à la hauteur de ses attentes. »
Des boulangeries ouvertes 7 jours/7, à la conception 100 % orientée client. Si une obsession caractérise bien le fondateur du réseau qui porte son nom, c’est celle de la satisfaction client « C’est notre juge de paix pour l’ensemble de nos choix. Il faut penser à tout pour être à la hauteur de ses attentes », affirme-t-il, en valorisant son recrutement basé sur le savoir-être pour y parvenir.
Dans ses 49 boulangeries pensées comme des « maisons de famille », les vitrines de pâtisserie sont disposées chaque matin à la réglette, symptôme d’une culture du détail très poussée au sein de l’entreprise. Large parking, ambiance chaleureuse et joviale, grande salle dédiée à la consommation sur place… la mécanique est bien huilée et fidélise une clientèle nombreuse.
De par son positionnement « Feuillette a démocratisé la boulangerie-pâtisserie de qualité en périphérie de ville de province ». Un résumé que le dirigeant a emprunté à l’un de ses clients et qui l’a ouvert à la franchise dès 2015. Une exigence qui implique un travail permanent pour maintenir, voire améliorer, les références mises en vente chaque jour.
Pour y parvenir, la R&D mobilise les compétences de professionnels aguerris, comme des Meilleurs Ouvriers de France (MOF) à l’image d’Angelo Musa, ami de longue date de Jean-François Feuillette. Elle trouve sur le terrain des relais efficaces au travers de formateurs itinérants, qui visitent les boutiques et accompagnent les équipes, aussi bien en vente qu’en production, pour reproduire sans faille le standard souhaité par la marque.
Le laboratoire de production, clé de voûte de l’organisation
5.000 m2, 12 millions d’euros d’investissement : deux chiffres qui résument l’ampleur du chantier mené à la Chaussée-Saint-Victor, en périphérie de Blois. Le site a été mis en service en juillet et permet à l’entreprise d’aborder son développement sereinement, en fabriquant de façon centralisée les viennoiseries ainsi que des préparations de base à destination des boulangeries du réseau.
C’est ici que le praliné maison est fabriqué, à partir des fameuses noisettes du Piémont, ainsi que le flan, pour lequel les gousses de vanille sont infusées 24 heures dans le lait. Grâce à ce nouvel outil « unique en France » selon Jean-François Feuillette, l’enseigne va pouvoir continuer à se développer au rythme de dix à quinze ouvertures par an… avec pour seule limite celle fixée par son fondateur : le maintien de la qualité.
Une franchise à succès, portée par de véritables meneurs d’hommes
L’essentiel des nouvelles implantations est aujourd’hui réalisé en partenariat avec des franchisés : chaque année, Feuillette reçoit 1 000 candidatures et sélectionne avec soin les profils. La qualité la plus recherchée est une capacité à gérer des équipes : il faut être un manager de terrain, capable de faire le service en boutique comme de prêter main-forte en production.
Un parcours d’intégration initial de 3 mois est fourni, souvent complétés par 3 mois supplémentaires au sein d’une boutique du réseau. Même si tous ne choisissent pas de passer le CAP boulanger, ils doivent maîtriser la fabrication du pain : réalisé à partir de farine 100 % française et sans additif, il demande soin et savoir-faire… comme chez tout artisan.
La passion de la gastronomie est également un sujet essentiel, sur lequel Jean-François Feuillette n’hésite pas à « mitrailler de questions » ses candidats. Dans un métier d’engagement tel que la boulangerie-pâtisserie, la proximité vis-à-vis du produit est essentielle… de même que des qualités humaines et de commerçant. « Je m’imagine réaliser un trajet Lille-Marseille en voiture avec mes candidats », ajoute le chef d’entreprise, qui s’implique personnellement dans le processus de sélection.
Grâce à ces talents, la structure, qui couvre une large moitié nord de la France et s’invitera prochainement dans des villes telles qu’Aubagne, affiche des performances enviables : une moyenne de 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel par unité, des équipes de 30 à 50 personnes dans chaque boulangerie… ce qui lui permet de dépasser dès à présent plusieurs autres enseignes bien implantées en matière de chiffre consolidé.
Du cap 2026 à 100 boulangeries… au Cap Ferret
L’entrepreneur a annoncé depuis plusieurs mois son ambition : compter 100 points de vente sur le territoire français à l’horizon 2026. Un véritable défi dans un contexte perturbé, où les difficultés de recrutement, l’inflation et les pénuries complexifient l’exploitation des entreprises.
« Nous manquons d’environ 10 % de nos effectifs », indique Jean-François Feuillette, ce qui représente près de 130 personnes sur un total de 1 300 salariés dans le périmètre de la marque. 400 nouveaux profils sont recherchés pour assurer le développement. Pour les attirer, Feuillette compte notamment sur sa formation destinée aux candidats motivés pour apprendre le métier de boulanger, avec à la clé un certificat de qualification professionnelle (CQP).
La première promotion vient de s’achever, ce qui permettra de faire un premier bilan sur la pérennité des vocations. D’ici là, la saison estivale aura été marquée par l’acquisition de l’institution ferret-capienne Frédélian « Une véritable sortie de ma zone de confort », selon l’artisan, qui n’avait jusqu’alors pas goûté aux spécificités de la restauration traditionnelle.
Là encore, c’est un coup de cœur qui marque le point de départ de l’aventure : des vacances sur la fameuse presqu’île du bonheur, une gaufre – produit phare de Frédélian – avec vue sur la dune du Pilat, la rencontre avec le propriétaire d’alors Nicolas Longein… Il n’en fallait pas plus pour que ce dernier propose à Jean-François Feuillette d’acquérir les lieux quelques années plus tard.
Après plusieurs mois de travaux, le lieu a été réinventé grâce au concours de l’architecte d’intérieur Laurent Dray. L’établissement, datant de 1939, a retrouvé son teint vert pastel d’antan, accompagné de touches Art-Déco qui s’intègrent parfaitement dans l’environnement.
L’ambition est d’ouvrir à présent toute l’année, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Les horaires – de 7 heures à minuit en saison – seront alors réduits. Une vision à long terme du lieu a été développée, à la fois pour assurer sa pérennité mais aussi car il s’agit d’un investissement durable.
« Je suis là pour 20 ans », annonce l’un des rares dirigeants de réseaux boulangers à être lui-même diplômé d’un CAP boulanger et pâtissier. L’inamovible recette de gaufres a été conservée, tout comme le service de glaces à emporter. Comme chez Feuillette, l’expérience client a été soignée et répond aux exigences locales, notamment côté restauration où 160 places permettent de profiter d’une carte finement sourcée.
La recette du succès
Ne jamais se reposer sur ses acquis, questionner sans cesse ses produits et son fonctionnement… et regarder toujours devant !
La restauration boulangère, axe de développement majeur : si l’entrepreneur a fait ses classes dans le sucré, Jean-François Feuillette ne s’en cache pas : pour lui, le snacking et la vente à emporter sont des leviers de développement importants. La période de pandémie lui a permis de professionnaliser son offre, laquelle est renouvelée deux fois par an et exécutée dans chaque point de vente par des cuisiniers, embauchés depuis 2020.
Cette voie est, selon lui, naturelle et toute tracée : la restauration rapide à la française, réalisée par des professionnels et avec des produits frais (dont le pain du boulanger, pétri et cuit sur place), peut aller chercher des parts de marché à la concurrence. Malgré les hausses de prix sur de nombreuses matières premières, comme le beurre, l’huile ou la moutarde, le caractère accessible de l’offre est préservé.
Mieux encore, ces défis sont vus chez Feuillette comme de nouvelles opportunités de se renouveler, pour satisfaire un client volatil et avide de nouvelles tendances. Toujours à l’écoute du marché, l’entrepreneur mène un travail conjoint avec la Fédération des entreprises de boulangerie (FEB) sur les emballages, un sujet majeur dès lors qu’il s’agit de vente à emporter.
Avec sa vaisselle dédiée à la consommation sur place et de nombreux packagings en carton pour remplacer le plastique, le réseau de boulangeries fait déjà figure de bon élève… mais veut aller plus loin, en favorisant les emballages réutilisables. « Les jeunes générations font bouger le secteur », achève le pâtissier, qui ne cache pas son intérêt pour les initiatives dans le végétal, telle la marque de boulangerie 100 % vegan Land&Monkeys, lancée par son confrère Rodolphe Landemaine.
La recette du succès de Feuillette se trouve sans doute ici : ne jamais se reposer sur ses acquis, questionner sans cesse ses produits et son fonctionnement… et regarder toujours devant, pour passer d’un cap à l’autre avec dextérité et talent.
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