CONJONCTURE
Difficultés de recrutement : des artisans désemparés
Fermé jusqu'à nouvel ordre : une mention qui pourrait se multiplier sur les vitrines dans les mois à venir ? C'est en tout cas ce que l'on peut craindre au vu des difficultés de recrutement rencontrées par les artisans boulangers ces derniers mois.
Le phénomène n'est pas nouveau : en 2019, la Confédération Nationale de la Boulangerie et Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF) avait lancé une campagne visant à recruter 7000 personnes en vente. Le problème s'est amplifié avec la crise sanitaire et touche à présent l'ensemble des fonctions d'une entreprise de boulangerie artisanale.
Ainsi, la tension en terme de profils qualifiés sur les postes de boulanger ou de pâtissier s'est transformée en un véritable chemin de croix pour trouver et fidéliser des professionnels compétents.
Pourtant, la France continue de former chaque année près de 5000 jeunes, lesquels sortent d'apprentissage avec un CAP en poche, un niveau très élevé et plus qu'au début des années 2000. On peine grandement à les retrouver sur le terrain, pour des raisons qui ne sont aujourd'hui pas clairement identifiées.
Les artisans multiplient les outils pour mener leurs recrutements : recours à Pôle Emploi, utilisation des outils digitaux (Indeed, Le Bon Coin, réseaux sociaux...), annonce en boutique, appel aux connaissances... sans parvenir à couvrir pleinement leurs besoins. Certains y voient une opportunité pour développer de nouveaux supports, destinés à cibler les profils les plus qualifiés. C'est notamment le cas de Revellata, la "première plateforme de recrutement dédiée à la boulangerie-pâtisserie", dont le lancement prochain a été annoncé par Louis Tiry, entrepreneur formé à l'Ecole Internationale de Boulangerie (EIDB) et ex-fondateur de la sandwicherie parisienne Lamée.
On évoque régulièrement les nouvelles attentes des jeunes pour expliquer cette désertion des fournils : aspiration à un développement de leur vie sociale en disposant de plus de temps libre, de plus de vacances, ... et ce malgré le confort de travail apporté par l'équipement matériel, lequel permet notamment de limiter les heures de pleine nuit et ainsi d'observer des rythmes préservant la santé de chacun.
Les témoignages de telles situations se multiplient, à l'image de celui du couple Othon à Pacy-sur-Eure (27), lequel n'est pas parvenu à stabiliser de boulanger au sein de leur entreprise depuis près de 18 mois. Afin de ne pas prendre le risque de décevoir leur clientèle tout en se préservant, les artisans ont fait le choix de fermer pendant les fêtes de fin d'année, se privant ainsi du chiffre d'affaires associé à cette période de forte activité. Ils ne sont pas les seuls : à Paris, l'enseigne Scoop Me a Cookie, réputée pour la texture et la qualité de ses biscuits, a récemment annoncé sur les réseaux sociaux la fermeture pour une durée indéterminée d'une de ses boutiques pour les mêmes raisons : pénurie de main d'oeuvre et volonté de maintenir des standards de qualité élevés.
La boulangerie-pâtisserie n'est malheureusement pas un cas isolé : le secteur de l'hôtellerie-restauration est également concerné par cette pénurie, qui touche les métiers de salle et de production. Dans une enquête titrée "La fuite des couteaux", le média en ligne Le Fooding détaille une situation alarmante, avec un chiffre marquant : près de 200000 travailleurs(euses) auraient déserté la filière, lassés de ses travers : horaires à rallonge, manque de considération ou de perspectives... Autant de traits qui ne sont pas sans rappeler ceux observés dans les fournils, boutiques et laboratoires de boulangerie-pâtisserie.
Une révolution culturelle progressive et nécessaire
L'arrivée de nouveaux profils, à l'image des reconversions professionnelles, ou la féminisation des fournils, contribue à faire évoluer les mentalités et les pratiques. Les méthodes de management, parfois brutales et peu respectueuses de l'individu, qui avaient cours jusqu'alors laissent peu à peu place à des pratiques plus humaines et durables : revalorisation des salaires, meilleure adaptation des postes et des charges de travail, amélioration de la communication au sein de l'entreprise... Autant d'évolutions menant à une véritable révolution culturelle pour le secteur. Egalement, les entreprises artisanales ne peuvent pas échapper aux enjeux de la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) : ils sont devenus des leviers majeurs de motivation et d'engagement des collaborateurs. Ils s'additionnent aux besoins exprimés ces dernières années en terme de reconnaissance et de sens.
Pour assurer sa pérennité, la boulangerie-pâtisserie devra donc être en mesure de développer de véritables projets d'entreprises faisant la part belle au respect des ressources naturelles, favorisant les approvisionnements vertueux et redonnant à l'humain une place centrale dans son fonctionnement. Une façon de voir le recrutement comme l'aboutissement d'une démarche globale, à entretenir sur le temps long, qui aboutira au développement de véritables "marques employeurs" positives pour les artisans.