Consommation responsable
Comment supprimer le gaspillage alimentaire en boulangerie ?
L’activité d’une boulangerie-pâtisserie continue aujourd’hui à générer des pertes, aux conséquences économiques et environnementales. Malgré la volonté affichée par la clientèle de participer à une consommation responsable, elle conçoit encore assez mal de disposer d’un choix limité en fin de journée, ce qui impose aux professionnels de produire abondamment. De nouveaux efforts et solutions seront nécessaires pour atteindre l’objectif fixé par l’État de réduction du gaspillage de 50 % à échéance 2030.
Des pains et des viennoiseries jetés chaque jour par plaques, voire échelles, entières. La vision est choquante pour le grand public, mais ce sont avant tout les équipes de vente qui sont concernées par ce véritable constat d’échec : par sa fréquente répétition, de nombreux collaborateurs finissent par être aussi lassés que choqués face à un problème pourtant loin d’être insoluble.
Depuis plusieurs années, les outils se multiplient afin d’accompagner les artisans dans la gestion de leurs invendus. L’une des plus connues est le Crumbler, un broyeur qui permet de transformer le pain sec en chapelure afin de le réincorporer dans de nouvelles fabrications. Depuis sa première installation en 2017, plus de 500 boulangeries ont déjà été équipées.
D’autres initiatives se développent progressivement : bière au pain (Pain de Minuit, La Miche…), biscuits antigaspillage (Kignon, In Extremis…), corners antigaspillage à prix réduit dans les boulangeries… autant d’outils pour réduire le poids du tri à la source des biodéchets, qui sera imposé dès le 1er janvier 2024.
Demain, la « boulangerie » 100 % anti-gaspi
Du pain… avec un jour de plus. C’est le credo de Demain, une adresse parisienne née début juillet au 133 rue Saint-Maur, Paris 11e. L’idée de valoriser d’une façon innovante les invendus des boulangeries-pâtisseries a germé dans l’esprit d’Adrien de Dumast et de Martin Herbelin après une première expérience dans le secteur de la gastronomie. Avec Le Food Trip, les deux associés ont rencontré des centaines d’artisans, donnant naissance à un guide offrant au public la possibilité de réaliser un véritable voyage culinaire.
Parmi ces professionnels approchés, les boulangers tenaient une bonne place. « Nous avons rapidement été sensibilisés à la problématique des invendus, qui demeurait présente malgré les outils déjà en place (Too Good To Go, Phénix…) », se souvient Adrien de Dumast.
Pour développer le concept de Demain, ils s’inspirent alors d’un modèle suisse, baptisé Äss-Bar, dont la première boutique a ouvert en 2013 à Zurich. L’enseigne en compte 9 à présent. « Les échanges avec les fondateurs d’Äss-Bar ont été très précieux, ils nous ont permis de définir le concept, que nous avons adapté pour la culture française : chez nous, la relation avec le pain est presque sacrée ! »
Pour l’heure, Demain s’approvisionne auprès de quatre enseignes : Maison Landemaine, Land&Monkeys, Tranché ! et Terroirs d’Avenir. « Rodolphe (Landemaine NDLR) a été le premier à croire en notre projet », confie l’entrepreneur. La logistique est entièrement prise en charge par la structure : « Un membre de notre équipe passe tous les jours, sauf le samedi soir, la boutique étant fermée le dimanche. Nous mettons à disposition les caisses pour stocker les invendus, qui sont collectées et remplacées. Cela représente d’ores et déjà 20 points de collecte. »
Le dispositif est formalisé par une contractualisation et la rétrocession d’une partie du chiffre d’affaires réalisé vers les partenaires : « De cette façon, nous nous garantissons un engagement des deux côtés, au travers d’une véritable relation d’affaires. »
Du côté des équipes de vente, chargées de préparer les produits, on aurait pu craindre un manque d’adhésion en raison de la contrainte supplémentaire ainsi générée. C’est finalement tout l’inverse : « Chacun est heureux de s’impliquer pour participer à un projet qui valorise le travail engagé au fournil. » Une règle a été fixée dès le départ : Demain vient en complément des autres démarches, telles que le don aux associations ou les paniers anti-gaspi.
À la différence de leurs confrères helvétiques, Adrien et Martin ne se contentent pas de distribuer des produits, mais en transforment également une partie. « Cela a été une grosse interrogation sur l’approche à adopter : est-ce que l’on doit être un “déstockeur de pain” ou plutôt se positionner dans le goût et le plaisir ? »
La réponse développée permet d’évangéliser la clientèle aux bienfaits de l’antigaspillage : les recettes mises au point parviennent à donner une seconde jeunesse à des produits peu attrayants. Ainsi, le croissant devient un « smash croissant », avec un supplément de gourmandise qui génère déjà de la récurrence de visite.
Même approche côté salé, avec une offre déjeuner revalorisant le pain provenant des partenaires. « C’est un véritable travail de traiteur, nécessitant beaucoup d’agilité pour s’adapter aux produits reçus chaque jour ! » s’enthousiasme Adrien de Dumast.
En dehors de ces produits transformés, Demain s’est fixé pour objectif de proposer un rabais d’environ 50 % par rapport aux prix pratiqués dans les boutiques d’origine, en se concentrant pour l’heure sur des produits stockés à température ambiante. « Dans cette période inflationniste, nous permettons à des publics modestes de se faire plaisir en achetant des pains artisanaux, travaillés exclusivement au levain naturel, autres que des baguettes. »
Après environ 3 mois d’activité et une première médiatisation qui a contribué à augmenter la fréquentation et le panier moyen, l’enjeu est à présent de séduire de nouveaux partenaires pour satisfaire tous les clients et renforcer l’impact de Demain.
« Malgré les nombreux défis, notamment techniques, nous sommes heureux de bâtir un projet qui a du sens, y compris pour notre équipe de vente qui participe à l’effort de pédagogie en expliquant le concept : une dynamique collective a été initiée dans la filière ! », concluent les deux associés, toujours en recherche active de nouveaux partenaires pour répondre à la demande.
Avec l’intelligence artificielle, l’Atelier Papilles rationalise ses achats et sa production
Alors que l’IA est sur toutes les lèvres, des acteurs de la filière blé-farine-pain s’en saisissent dès aujourd’hui afin d’utiliser la puissance de cette technologie prometteuse et améliorer le fonctionnement quotidien de leur exploitation.
C’est le cas de l’enseigne l’Atelier Papilles, qui a misé sur la solution développée par la start-up française Inpulse afin de centraliser et d'optimiser ses commandes, tout en réduisant les pertes. « Nous sommes en quête permanente d’axes d’amélioration », témoigne Guillaume Lopez-Marcoux, maître boulanger et fondateur de l’entreprise aux 30 points de vente.
Depuis sa création, le réseau défend une stratégie d’impact positif et multiplie les points de différenciation. 100 % de ses volumes de farine T65 sont labellisés Agri-Éthique et l’entreprise est son propre distributeur de matières premières (sauf consommables). « Un de nos objectifs premiers était de permettre la livraison de l’ensemble des références dans un seul et même camion bi-température, passant de quatre voire six livraisons par semaine à une ou deux. »
Un défi relevé par Inpulse, dont la solution permet ainsi de réduire l’impact écologique de l’activité… tout en réduisant le gaspillage. « L’outil prévoit de façon précise la volumétrie à commander ligne par ligne en fonction des besoins du point de vente, basés sur les ventes, des éléments extérieurs (météo, événements calendaires…) et l’état des stocks, tout en sélectionnant les conditionnements adaptés : à la fin, les produits sont plus frais, les commandes plus justes et nous n’avons, de fait, plus de fond de sac qui sera jeté. »
Ce tour de force est réalisé grâce à l’association d’une technologie de pointe, entraînée depuis près de quatre ans, d’une ergonomie optimisée et d’une implication des équipes magasin. « Les collaborateurs gagnent près de 2 heures par semaine sur les commandes, réalisent des inventaires réguliers et saisissent systématiquement les pertes en fin de journée, ce qui permet d’adapter les stocks et d’obtenir des prévisions ajustées : en près de 12 mois d’utilisation d’Inpulse, nous arrivons à 96 % de justesse de commande ! », se réjouit le dirigeant, qui entend déployer la solution sur les 30 nouvelles ouvertures à venir dans les 18 prochains mois.
L’intelligence artificielle s’avère tout aussi efficace pour prévoir les quantités à produire chaque jour. « En fonction des articles présents en vitrine et de leur durée de vie, l’outil adapte la fiche de production transmise au laboratoire. De cette façon, nous jetons beaucoup moins, avec une progression de près de 3 % de la marge brute… ce qui est très précieux dans le contexte actuel. »
Une démonstration poignante de l’intérêt d’une telle technologie pour les métiers de l’artisanat, lorsque leur déploiement est réalisé avec une fine compréhension des spécificités du secteur d’activité.
« Les équipes d’Inpulse se sont adaptées à nos besoins et nous ont accompagnés en formant nos collaborateurs. La solution étant connectée directement à nos fournisseurs, à notre logistique et à nos caisses, les échanges d’informations sont particulièrement fluides », conclut l’entrepreneur, qui peut désormais assurer le développement de son enseigne avec sérénité et la garantie d’une totale performance économique et environnementale.