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FILIERE

Comment les crises bousculent la relation meunier-boulanger

Publié le 06/10/2022 |

S'il y a bien un couple qui dure dans la filière blé-farine-pain, c'est celui du meunier et du boulanger... mais pour combien de temps encore ?
La question se pose à la lumière des évolutions des relations entretenues entre ces deux métiers, intimement liés par le processus de transformation aboutissant au pain.

Ces dix dernières années, la meunerie a considérablement développé ses services, allant bien au delà de la simple fourniture de farine : aide à l'installation, assistance technique, formation, communication... la boite à outils de ces entreprises s'est remplie, à la fois pour répondre aux besoins des artisans et pour maintenir un lien fort avec les boulangers, dont l'émancipation commençait à se dessiner : en marge de la naissance de nouveaux réseaux, de nombreux artisans indépendants ont souhaité affirmer leur identité, revenant pour certains à des méthodes de fabrication plus riches en savoir-faire (levain naturel, farines brutes non additivées...). 

Avec la crise sanitaire liée au Covid-19, la relation de proximité de la meunerie, habituellement entretenue par les forces de ventes, s'est distendue voire interrompue pendant plusieurs mois. Si plusieurs acteurs avaient déjà amorcé la montée en puissance du digital et de la télévente (à l'image des Grands Moulins de Paris, dont le site internet propose la commande depuis plusieurs années) dans la prise de commandes, cet épisode a marqué un véritable accélérateur de la tendance. Dès lors, les commerciaux doivent trouver une nouvelle place et développer une réelle valeur ajoutée, au delà du plaisir d'échanger quelques mots et de partager une boisson chaude. La mutation, aussi complexe que longue à mener, est d'ores et déjà en cours : non seulement les profils recrutés changent, mais leur feuille de route également.

Cette dernière s'est longtemps concentrée sur des indicateurs quantitatifs et non qualitatifs : nombre de quintaux vendus, nouveaux clients, ... autant d'objectifs qui ont parfois entretenu une guerre des prix et une surenchère des outils tels que les prêts meuniers. La situation actuelle remet profondément en cause de telles pratiques : de par la baisse de rentabilité subie par la filière, liée à l'explosition des coûts de production et aux cours du blé élevés, les écarts de prix se réduisent, tout comme la capacité de les casser pour séduire un prospect. Ainsi, le delta entre le prix le moins élevé et le plus élevé facturé par un même meunier sur une référence identique devrait tendre à se réduire progressivement.
Quant au prêt meunier, la fragilisation marquée des entreprises artisanales imposera certainement de mettre en oeuvre des critères d'attribution plus stricts, prenant en compte la viabilité du projet et ses conditions de mise en oeuvre.

La fin de l'abondance évoquée par le chef de l'Etat concerne également le secteur de la boulangerie : certains meuniers ont annoncé à leurs clients l'abandon des pratiques de gratuité sur les équipements de fournil (cornes, minuteurs, tee-shirts...). Si cette évolution sera difficile à intégrer pour bon nombre de professionnels, elle participe à un mouvement de clarification des relations meunier-boulanger, qui se baseront ainsi sur des termes clairs (prix, qualité de produit et de l'accompagnement). Les moulins devront continuer la modernisation de leurs pratiques, offrant plus de transparence à leurs clients, prenant le risque de faire face au développement d'une émancipation totale des boulangers s'ils ne mènent pas cette tâche à bien : avec une demande croissante pour des "micro-moulins", les artisans prouvent qu'ils peuvent reprendre la main sur la filière, faisant ainsi un lien direct entre la terre et la table. De quoi nourrir l'appétit du secteur pour se réinventer.