REGLEMENTATION
Comment le durcissement des contrôles d'hygiène pourrait mettre à mal la boulangerie indépendante ?
L'inquiétude monte chez les boulangers franciliens : ces dernières semaines, les contrôles réalisés par les services de l'Etat se sont intensifiés au sein des fournils et boutiques, donnant lieu à des fermetures administratives aux conséquences potentiellement dévastatrices. En fonction de la durée de la sanction et des travaux à engager pour obtenir le droit de procéder à une réouverture, la perte d'exploitation peut peser lourd pour des entreprises déjà fragiles.
Un renforcement des contrôles à l'approche des Jeux Olympiques 2024
Ces opérations semblent coincider avec la volonté affichée par les pouvoirs publics d'offrir des prestations irréprochables aux nombreux visiteurs qui se rendront dans l'Hexagone à l'occasion des Jeux Olympiques 2024 : la ministre Olivia Grégoire a récemment annoncé que la répression des fraudes doublerait ses contrôles pour l'occasion, principalement dans le secteur de l'hôtellerie-restauration. Les artisans boulangers étant devenus au fil du temps des acteurs de ce marché, de par leur activité de snacking, il semblerait naturel que ces derniers soient concernés par la mesure... sans qu'ils soient tous en pleine capacité de répondre aux injonctions des inspecteurs, non pas par mauvaise volonté mais pour des raisons de place ou de conception des locaux, souvent exigus dans la capitale. Un professionnel récemment contrôlé témoigne "Il m'a été demandé de passer de quatre casiers à près d'une quarantaine, pour éviter de mélanger linge sale et propre.". Impossible pour ce jeune chef d'entreprise, installé avec son associé depuis près de trois ans. D'autres griefs lui ont été signifiés lors du contrôle, entrainant une fermeture administrative immédiate, sans mise en demeure préalable "L'opération a duré une dizaine de minutes", se souvient le boulanger. Un carreau cassé, la présence d'un chat dans le fournil (fréquente dans les établissements parisiens du fait de l'omniprésence des rongeurs), des défauts sur le plafond... "L'inspecteur n'a même pas visité la boutique : son idée était faite très rapidement.". Les raisons invoquées semblent bien éloignées de l'état particulièrement dégradé de certains laboratoires. Profondément affecté par cette décision, l'homme s'effondre en sanglots, submergé par le flots d'émotions ainsi généré : il fallait non seulement faire une croix sur la marchandise proposée à la vente, mais aussi fermer le rideau sans être certain de pouvoir le rouvrir. C'est en effet une véritable course contre la montre qui s'ouvre alors : en six jours, l'entreprise est parvenue à mobiliser les prestataires nécessaires pour réaliser les travaux et reprendre son activité, après constatation par les services de l'Etat "Les voies de recours, expliquées sur le procès verbal, auraient pris de 15 jours à deux mois avant de produire des effets, cela n'était pas envisageable pour notre structure.". Les perspectives ne sont pas pour autant éclaircies pour cette boulangerie-pâtisserie "L'inspecteur nous a clairement notifié qu'il reviendrait après les fêtes.".
Une forte hausse des fermetures administratives
Près d'une vingtaine de fermetures administratives auraient été prononcées à l'encontre d'artisans boulangers en Ile-de-France ces dernières semaines. Tous ne sont pas aussi résilients que le professionnel parisien présenté ci-dessus : certains jettent l'éponge, usés par le cumul des difficultés observées ces dernières années, ou ne sont pas en mesure de se conformer à la réglementation. A terme, une partie des fonds de commerce pourrait ne plus trouver preneur, de par l'incapacité structurelle à les faire rentrer dans les standards attendus par la réglementation. De quoi ouvrir la voie à une nouvelle phase de recul de la boulangerie indépendante, remplacée par de nouvelles créations d'établissements de plus grande taille, au visage bien différent de celui offert par l'artisan traditionnel.
Le "name and shame", une pratique aux nombreuses conséquences
Comme pour accélérer le processus, certaines préfectures n'hésitent pas à jeter l'opprobre sur les restaurateurs et boulangers frappés par des décisions de fermeture administrative. Cette pratique, baptisée "name and shame" dans les pays anglosaxons (littéralement « nommer et couvrir de honte ») et traduite par mise au pilori en Français, se répand sur les réseaux sociaux. Dans le Val d'Oise (95), sous l'impulsion du préfet Philippe Court (en poste depuis 2021), ce sont plusieurs dizaines d'établissements qui ont connu une mise en lumière bien peu flatteuse, avec des clichés de leurs manquements aux règles d'hygiène diffusé sur X (ex-Twitter). A chaque fois, le contenu est très largement repris par la presse locale et les internautes, plaçant les entreprises dans des situations particulièrement délicates. C'est notamment le cas de Franck Hombecq, un boulanger-pâtissier installé depuis près de 30 ans à l'Isle-Adam (95). Ce professionnel réputé s'est vu reprocher l'absence de carrelage dans une cave, la présence de nuisibles ou encore l'utilisation de seaux sans indication de traçabilité pour leur contenu. Autant de sujets sur lesquels le chef d'entreprise a tenu à répondre publiquement, utilisant les mêmes moyens que la force publique : ses clients ont pu découvrir la situation sur les réseaux sociaux, ainsi que des clichés de son laboratoire. Qu'ils soient fidèles ou confrères, de nombreuses personnes lui ont apporté leur soutien jusqu'à la réouverture, réalisée quatre jours plus tard. L'enjeu est en effet de préserver la confiance vis à vis de l'artisan au sein de la clientèle, au risque d'engendrer des difficultés économiques marquées, s'additionnant à la perte d'exploitation. Cette pratique du "name and shame" interroge par la violence qu'elle instaure entre l'administration et les acteurs de la vie économique, malgré la volonté affichée de servir la population. Le préfet du 95 ne souhaite pas s'arrêter là : si ses équipes ont réalisé 546 contrôles en 2023, il prévoit d'en réaliser 1 600 l'an prochain. De quoi alimenter encore longtemps les réseaux sociaux de son administration... et provoquer la terreur chez les professionnels.