A Corbeil-Essonnes, Moulins Soufflet dévoile son nouveau site

En février dernier, une discrète révolution s'est opérée en plein coeur de Corbeil-Essonnes (91). A l'abri des regards, le bruit des machines s'est éteint dans le site historique des Moulins Soufflet, remplacé par un silence définitif, mettant fin à l'activité d'un outil emblématique de la meunerie française. Bercée par la Seine, le coeur de cette ville francilienne s'est façonné autour de ses Grands Moulins, dont les bâtiments à l'architecture caractéristique accompagnent le quotidien de la population depuis des décennies.
Il y a cinq ans, la famille Soufflet prenait une décision majeure pour l'avenir du site : face à l'évolution du marché, l'entreprise souhaite construire un nouveau bâtiment, abritant un moulin de dernière génération. En effet, l'outil historique se révélait mal adapté pour le développement des filières qualité, son fonctionnement était particulièrement énergivore et mal optimisé, et sa capacité d'écrasement (de 1300 tonnes de blé/jour) se correspondait plus aux besoins du secteur, particulièrement depuis la chute des activités d'export de farine (vers le continent africain notamment).

Un reportage réalisé par la Région Île-de-France et Grand Paris Sud est disponible en ligne depuis fin 2022. Il retrace l'épopée de ce moulin imposant, d'une taille appartenant à un autre temps. Les pages d'histoire se tournent : celle de la famille Soufflet d'une part, qui a cédé la structure à l'union de coopératives InVivo, mais aussi celle de l'activité industrielle d'une partie du site. Pour autant, la mémoire de l'actionnariat familial demeure forte dans les esprits des salariés locaux : Jean-Michel Soufflet était très attaché à la meunerie, activité par laquelle il avait débuté son activité au sein des métiers du grain. La population et les élus locaux, le maire de Corbeil-Essonnes, Bruno Piriou en tête, ne peuvent que saluer le choix réalisé ici : non seulement l'emploi est préservé (avec 90 collaborateurs, et 20 embauches prévues), mais les bâtiments historiques vont connaître une nouvelle vie grâce au concours du promoteur Cogedim et d'Histoire & Patrimoine, expert de la rénovation de bâtiments historiques. Comme ce fût le cas à Paris 13è ou à Pantin, les murs accueilleront de nouvelles activités et logements, dont la livraison est prévue en 2026. 

Cinq ans après le projet, une inauguration

Ce mercredi 14 juin, les équipes de Moulins Soufflet, d'Episens et plus largement d'InVivo étaient rassemblées pour inaugurer un moulin "4.0", dédié au développement des filières vertueuses dans lesquelles le groupe est engagé. La démarche Semons du Sens, initiée par l'ancienne direction, représente d'ores et déjà plus de 50% des 1000 tonnes de blé réceptionnés chaque jour à Corbeil. L'outil est riche en aspérités : il renferme en réalité deux moulins, d'une capacité d'écrasement de 450 tonnes de blé/jour chacun, disposant d'un circuit dédié de bout en bout (y compris à la réception). Le premier est dédié aux filières (Label Rouge, ...), le second au blé conventionnel / IRTAC. Ainsi, les contaminations croisées sont évitées. Sur 5 niveaux, l'ensemble du processus de mouture est réalisé grâce aux équipements conçus par le constructeur italien Omas, parmi lesquels on compte des sasseurs ou encore 2 trieuses optiques. L'objectif : obtenir un produit fini le plus "propre" possible, avec des farines adaptées aux utilisations industrielles, dont les cahiers des charges peuvent être très pointus. Cela permet notamment d'obtenir une farine très pure, de type T38, particulièrement adaptée pour la réalisation de fonds de tarte. Un produit très technique et rare sur le marché, qui s'inscrit pleinement dans la stratégie de différenciation de l'entreprise. L'industrie représentant 60% de sa clientèle, le sujet revêt un caractère particulièrement stratégique.

Un écosystème parfait à Corbeil

"Nous disposons ici d'un écosystème parfait" détaille Bertrand Guilloteau, directeur général des Moulins Soufflet "la Seine nous permet de recevoir 15% de nos approvisionnements en blé, nous sommes proches du silo Soufflet Agriculture de Pézarches (situé à 50 km, ndlr) et de nombreuses équipes sont implantées sur le site de longue date. La proximité de Paris nous permet de livrer les artisans efficacement". La traçabilité et les économies d'énergie ont été placées au coeur du projet : grâce à sa motorisation, l'outil redistribue automatiquement l'énergie non utilisée, ce qui permet de réduire de près de 30% la consommation du site. 68 cellules de stockage en réception et 46 pour la farine offrent une grande souplesse d'exploitation et garantissent l'isolement de chaque lot de blé puis de produit fini.
Pour autant, le chemin du projet n'a rien eu d'un long fleuve tranquille "En reprenant le groupe Soufflet, nous nous sommes posés la question de la pertinence de l'investissement" se souvient Thierry Blandinières, directeur général d'InVivo "ce sont pas moins de 45 millions d'euros qui auront été nécessaires pour bâtir ce nouvel outil : il nous fallait être persuadés des perspectives dans la filière.". InVivo choisit alors de faire appel à du sang neuf "Nous avons pris six mois pour constituer une nouvelle équipe de direction et déterminer une stratégie claire, basée sur le renforcement du management pour améliorer la productivité de l'activité, placée au service d'une vision durable des champs à l'assiette. Il faut savoir parler au consommateur valoriser des produits issus d'une filière intégrée, proposés à des prix abordables.". Les pieds dans la terre, la tête tournée vers l'avenir, l'entreprise dispose ici d'un outil connecté, avec mémorisation des paramétrages de mouture pour garantir la régularité des farines. L'équipe de 17 meuniers a entre ses mains le "moulin le plus moderne de France" selon l'entreprise, avec près de 80 pages sur leurs outils de supervision entièrement informatisés. 

La boulangerie artisanale, un marché à reconquérir

Ainsi, Moulins Soufflet poursuit une mue profonde, visant notamment à rétablir une image qualitative dégradée auprès d'une partie de la boulangerie artisanale. Si l'entreprise compte aujourd'hui près de 4000 clients sur ce segment (20% de son activité totale), elle a adopté une stratégie de conquête. Une position définie par Daniel Hideux, Directeur Commercial Boulangeries Artisanales, Chainés, Investisseurs et Foodservice depuis juin 2022 "Nous nous positionons à présent comme des partenaires de la réussite des artisans, avec un accompagnement permanent des clients par nos équipes commerciales. L'objectif est de développer son chiffre en lui apportant des outils adaptés à ses problématiques.". Le soin porté aux filières compte parmi les atouts de la nouvelle offre du meunier, avec notamment la farine Terre de Sens, certifiée Label Rouge, pour laquelle les agriculteurs se sont engagés sur des pratiques vertueuses à l'échelle de l'exploitation (et non pas de la parcelle comme c'est le cas pour les démarches classiques). Cette référence "native" (sans ajout de gluten sec ou d'enzymes) est recommandée pour le travail en méthode RESPECTUS PANIS®. Pour aller plus loin, le déploiement d'un centre de formation dédié aux artisans est envisagé sur le site de Corbeil.

Au delà de la meunerie, InVivo croit en son projet de relance pour les activités positionnées au sein la filière blé-farine-pain héritées du groupe Soufflet "Le rebond est là" affirme Thierry Blandinières. En regroupant Neuhauser, AIT Ingredients et Moulins Soufflet sous la bannière d'Episens, l'union de coopératives a bâti un plan de transformation ambitieux, détaillé en début d'année lors du Sirha Lyon. La prochaine étape aura lieu à la rentrée 2023, avec la réouverture à Folschviller (57) du site Neuhauser Furst 1 "nous croyons au dynamisme du marché et à la pertinence de notre travail en filière, qui permet un meilleur partage de la valeur et reconnecte les producteurs avec les consommateurs". Autre chantier d'ampleur : la transformation du réseau de boulangeries Louise, rattachées quant à elles à TERACT, la division retail d'InVivo, dont un point de vente "vitrine" pourrait également voir le jour à Corbeil. En choisissant d'être au four et au moulin, l'entreprise aura du pain sur la planche pour de nombreuses années.