SOCIETE
Mouvements sociaux, une menace pour les boulangers ?
"Un problème de survie" : ce dimanche, Bernard Cohen-Hadad, président de la CPME Île-de-France, a décrit avec gravité, sur franceinfo, les conséquences des mouvements sociaux à répétition sur les petites entreprises dont font partie les boulangeries-pâtisseries artisanales. En effet, elles ont des conséquentes fortes sur l'activité de ces dernières : non seulement la clientèle est moins nombreuses, mais les collaborateurs peinent à rejoindre leur lieu de travail, ce qui désorganise considérablement la production. Nos confrères du Monde des Artisans ont résumé les conséquences de ces journées de mobilisation pour les salariés grévistes et non-grévistes.
La perspective de grèves reconductibles a de quoi inquiéter des chefs d'entreprises dont les structures ont été considérablement fragilisées par les crises successives. Les coûts de l'énergie et des matières premières pèsent lourdement sur l'exploitation des commerces, en plus des nombreux emprunts souscrits ces dernières années : Prêts garantis par l'État (PGE), dettes Urssaf ou sociales pour certains... une accumulation dramatique à laquelle Bernard Cohen-Hadad n'est pas résigné, mais demande une évolution du service minimum au nom de "la liberté du commerce et de l'industrie, pour la liberté d'aller et de venir et pour une société un peu plus apaisée".
Des "journées mortes" pour l'activité des entreprises
Héritage de la période de restrictions liées à la situation sanitaire pendant la crise du Covid-19, le télétravail est fortement utilisé sur ces journées de mobilisation. Dès lors, c'est "une journée morte" pour les commerces à proximité des bureaux, voire même des zones résidentielles. Les consommateurs se recentrent sur leur activité professsionnelle "Ils ne font pas leurs emplettes près de leur travail. Ils ne font pas forcément leurs emplettes autour de chez eux. Ils font leur commande sur le web.".
Les artisans boulangers, une histoire... en mouvements (sociaux)
Si les boulangers ont, quant à eux, exprimé leur mécontentement face à la crise énergétique le 23 janvier dernier, ils sont aujourd'hui moins actifs sur le sujet des retraites : la santé de leurs entreprises et le développement de la concurrence les ont progressivement éloignés des mouvements sociaux, alors même que leur histoire a été associée à ces derniers pendant une grande partie du XXè siècle. Ainsi, en 1947, la grève des boulangers parisiens a déclenché un mouvement au sein des ateliers SNCF de Villeneuve-Saint-Georges. Quelques ouvriers n'ayant pas "pu se procurer le pain de leur casse-croute" se soulèvent et le pays connait d'importantes pénuries alimentaires, provoquant une inflation atteignant 60% sur l'année. De quoi relativiser la situation connue en 2022.
Cet engagement sociétal s'est poursuivi entre 1950 et 1960 avec la conduite de multiples grèves afin de protester contre des politiques économiques ayant mené à des hausses marquantes sur les matières premières, affectant les marges des boulangers.
Par la suite, le développement de l'offre en grande distribution et le renforcement de la boulangerie industrielle ont participé à compresser les prix du pain et à mettre les entreprises sous pression. Les grèves continuent à éclater : les conditions de travail et les bas salaires entretiennent la contestation. 6786 boulangeries artisanales disparaissent en seulement 7 ans, entre 1968 et 1975, et les mouvements sociaux au sein de la filière finissent par s'étioler. La défense des intérêts du secteur est demeurée centrale, avec des aides financières et des subventions pour continuer la modernisation du métier... ainsi que la mise en place de l'appellation "pain de tradition française" au travers du décret n°93-1074 du 13 septembre 1993.
L'effet des mouvements sociaux majeurs, observés en 1947 et 1995, sur la boulangerie artisanale n'est pas à négliger : ils ont participé à maintenir la position centrale du secteur sur le marché et ainsi de préserver son savoir-faire. Aujourd'hui, la proximité de la filière avec le fait social s'est distendue, ce qui pourrait limiter ou annuler toute forme d'impact positif... ne restant plus que les pertes d'activité.