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"Notre modèle meunier-boulanger français est unique et à préserver", entretien avec Jean-François Loiseau
Pas de boulangerie artisanale indépendante sans des meuniers de petite ou moyenne taille, ancrés dans leurs territoires. Le message exprimé par Jean-François Loiseau, président de l'ANMF, en marge de la Convention annuelle de la Meunerie, est clair : malgré un contexte perturbé, la filière doit trouver de nouvelles solutions et outils pour faire vivre la relation singulière qui existe au sein de la filière blé-farine-pain française.
"Personne n'imagine se passer de son boulanger" constate Jean-François Loiseau, qui est également Président de la coopérative céréalière Axéréal et d'Intercéréales. "Nous avons sur notre territoire un modèle assez unique de bourgs et villages avec des commerces alimentaires, où la boulangerie est souvent la dernière à subsister". La filière blé-farine-pain fait face aujourd'hui à des enjeux majeurs, qui se renforceront d'ici à 2040, qui était le cap choisi par l'organisation professionnelle pour sa rencontre annuelle. "Pour assurer la pérennité de ce paysage auquel nous sommes attachés, il est essentiel de disposer de meuniers engagés aux côtés des artisans, à proximité de ces derniers : il est indispensable d'avoir des leaders sur notre marché pour le tirer vers l'avant, mais ce ne sont pas eux qui iront livrer de petits fournils, ni accompagner la boulangerie dans des zones rurales. Les acteurs de plus petite taille, qu'ils soient locaux ou régionaux, avec des entreprises familiales aux réussites remarquables, ont un rôle crucial.". La problématique est similaire du côté des artisans boulangers, confrontés à des événements remettant en cause leur pérennité "La boulangerie artisanale doit évoluer, avec de nouvelles activités, comme le snacking. Néanmoins, la qualité du pain demeurera essentielle, et celle-ci dépend du savoir-faire transmis. Cette notion de transmission est essentielle, y compris pour les transactions en fonds de commerce.".
Restaurer la capacité d'investissement et la compétitivité des entreprises de meunerie
Les meuniers ne pourront pas assurer correctement leur rôle à long terme si les conditions dans lesquelles elles évoluent actuellement venaient à perdurer : leur marge s'est contractée de façon importante, ce qui ne leur permet plus d'investir à des niveaux suffisants "Face à cette situation, les moulins les plus fragiles pourraient fermer ou être repris. Nous avons un réel problème de compétitivité, autant à l'export que sur le marché intérieur. L'ANMF avait porté l'idée d'un plafonnement des prix de l'énergie, qui n'a pas été mis en oeuvre pour des raisons de conformité aux réglements européens. En dehors de cet accompagnement de court terme, nos entreprises auront besoin d'un soutien des pouvoirs publics sur les sujets régaliens (sécurité, transport, énergie...) pour mener les investissements structurants et évolutions indispensables à leur survie.". La baisse observée sur les cours du blé et de l'énergie va aider les meuniers à mener une exploitation plus apaisée "mais il ne faut pas s'endormir", rappelle le dynamique président. Ainsi, l'organisation professionnelle va engager une réflexion stratégique inédite sur des dispositifs de mutualisation entre ses membres, traitant de sujets tels que l'achat de sacherie, d'énergie ou en logistique "Chaque jour, nous avons des camions qui passent aux mêmes endroits et ne sont pas forcément pleinement chargés. Il y aurait sans doute des possibilités de rationaliser la livraison, ce qui serait vertueux sur le plan économique et environnemental.". Un dispositif de livraison croisée qui permettrait également de mettre en oeuvre de nouvelles innovations pour améliorer le quotidien des livreurs, dont le travail demeure pénible en raison des ports de charge, malgré le passage des sacs au poids de 25kg début 2014.
Un pesant déficit d'attractivité
La survie de la filière tient également à sa capacité à restaurer son attractivité sur le marché du travail : elle est aujourd'hui méconnue, en plus de pâtir d'à prioris négatifs quant à la pénibilité ou à la sécurité au sein des outils de production "Les jeunes ont besoin d'un environnement où s'épanouir, avec des perspectives et du sens. Cela nous impose d'aller dans cette direction, ensemble au sein de la filière, en garantissant à la fois la sécurité de nos collaborateurs et leur formation. Nous réalisons de nombreux Certificats de Qualification Professionnelle (CQP) au sein des entreprises.". Pour autant, l'école de référence du secteur, l'ENILIA-ENSMIC (située à Surgères, 17) "a été délaissée". Une situation à laquelle l'ANMF souhaiterait remédier en adoptant une approche filière et non plus uniquement meunerie pour la formation initiale, avec la mise en place de deux niveaux de diplômes et de spécialisations "pour atteindre une forme d'entonnoir".
Communiquer auprès des plus jeunes revêt également un caractère stratégique : c'est dans cette optique qu'un compte Instagram officiel de la Meunerie Française a été ouvert avant la convention, venant compléter un dispositif digital basé sur une chaine YouTube ainsi qu'une présence sur LinkedIn et Twitter. Il sera alimenté avec des contenus lisibles pour ce public et ouvre la voie à une campagne plus vaste qui sera lancée d'ici à la fin de l'année (pour la "rentrée" Parcoursup, aux alentours de novembre) "Nous souhaitons apporter de l'information aux jeunes et à leurs parents pour créer des vocations : cela passe par la découverte de la réalité des métiers de la filière, qu'il s'agisse de meunier ou de boulanger. A ce titre, nous accompagnerons nos membres pour déployer un dispositif de visite unifié dans les moulins" détaille Hadrien Lavielle, responsable communication et valorisation au sein de l'ANMF. Au delà du digital, le dispositif s'accompagnera de supports physiques, destinés à être repris au sein des boulangeries ou à l'arrière des camions de livraison "Le contenu sera créé en capitalisant sur la valeur présente chez nos adhérents". Une belle preuve que, sur tous les terrains, les meuniers souhaitent aujourd'hui jouer collectif pour participer à l'avenir de la filière.