GEOPOLITIQUE
Fin du corridor en Mer Noire : quelles conséquences pour la boulangerie ?
Le prix des farines va-t-il continuer de grimper ? L'"Initiative céréalière de la mer Noire", portant sur l'exportation des céréales (et donc du blé) ukrainiennes a pris fin le lundi 17 juillet à 23h. Ce passage ouvert à travers l'eau aura permis de voir sortir près de 33 millions de tonnes de grain en un an, participant à approvisionner des pays touchés par de grandes inquiétudes (en région Méditerranéenne et en Afrique) quant à leur alimentation en l'absence de ce partenaire majeur depuis le début du conflit. En Europe et ailleurs dans le monde, les craintes s'orientent vers un renchérissement de l'inflation, alors même que les cours du blé avaient reculé depuis le début de l'année.
Des évolutions de prix modérées à court terme
Dans l'immédiat, le marché a peu réagi, mais cette période n'aura été que de courte durée. Malgré la période de moissons et les perspectives de récoltes qualitatives et quantitatives dans plusieurs régions du globe et la baisse des volumes à exporter depuis l'Ukraine, dont la production de céréales a quasiment diminué de moitié, les cotations ont rapidement évolué sur certains produits, à l'image du colza, lequel a retrouvé un niveau de prix proche de celui observé au début du printemps. Le constat est similaire pour le blé (atteignant plus de 250 euros la tonne), même si la situation est loin d'être aussi critique que celle vécue en mai 2022, où la céréale culminait à près de 370€ la tonne. L'évolution a été modérée de par les retards d'inspections russes sur les navires, qui limitaient l'efficacité du dispositif, et le fait que cette situation pourrait être temporaire : le cabinet indépendant Oxford Economics estimait au lendemain de la fin de l'accord que, si les exportations totales de grains ukrainiennes pourraient être divisées par deux entre juillet et août par rapport au record observé en mars dernier, la pression de partenaires tels que la Turquie ou la Chine pourrait convaincre le pouvoir russe de revoir sa position. Dans le cas contraire, des effets pourraient se faire ressentir à moyen terme, comme le détaille Olia Tayeb Cherif, responsable d'études au sein de la Fondation FARM "Une fermeture durable du corridor aura un impact sur l’inflation alimentaire, qui jouera sur la sécurité alimentaire".
Les alternatives terrestres ou maritimes, passant notamment par le Danube ou la Slovaquie, sont utiles mais probablement insuffisantes pour acheminer l'ensemble des flux, ces dernières représentant déjà 50 à 60% des échanges réalisés. Pour l'heure, aucun navire céréalier ne pourra traverser la Mer Noire, au risque d'être considéré comme "une cible militaire" selon les autorités russes.
La France étant largement autosuffisante en production de blé, avec un volume attendu de près de 35 Millions de tonnes en 2023 selon le cabinet Agreste (soit 2,3% de plus qu'en 2022), les craintes sont bien moins vives que dans d'autres régions du monde, historiquement très dépendantes des céréales cultivées en Europe de l'Est ou en Russie. Cependant, en coupant l'accès à une partie des ressources en grains, le Kremlin pourrait renforcer la dépendance au blé cultivé sur son territoire : ce sont en effet les russes qui disposent de l'essentiel du blé exportable, à hauteur de 12,5 millions de tonnes de stocks, avec des prix particulièrement bas.
En boulangerie et en meunerie, l'évolution des cours du blé sera déterminante pour une partie des acteurs, déterminant autant de potentielles hausses tarifaires sur le prix de leurs produits que leur capacité à investir et à continuer leur développement. Comme l'avait souligné en juin Jean-François Loiseau, président de l'Association Nationale de la Meunerie Française, l'accalmie observée sur les marchés avait permis aux acteurs de la première transformation de retrouver une forme de sérénité. L'enjeu est à présent que celle-ci puisse perdurer.