TENDANCES
Ce que l'emballement autour des "doughnuts" Krispy Kreme dit de nous
Krispy Kreme a ouvert les portes de son flagship parisien de 550m2, situé au coeur du Forum des Halles (Paris 1er) ce mercredi 6 décembre. L'événement avait été annoncé il y a plusieurs mois, puis relayé par une campagne de communication offensive dans les rues de la capitale, avec le sens de la formule reconnu de l'agence Buzzman (connue notamment pour son accompagnement de la marque Burger King en France). "Macaron démission", "le meilleur croissant de Paris", ... si l'affichage sauvage a provoqué l'ire des élus parisiens, elle aura visiblement eu l'impact recherché auprès des consommateurs : certains n'ont en effet pas hésité à faire plusieurs heures de queue pour découvrir les fameux "doughnuts" (et non pas donuts selon l'orthographe propre à l'enseigne), avec des distributions gratuites qui auront rassemblé des centaines de curieux. Même si la marque jouissait déjà d'une certaine réputation de par sa présence à l'international (avec 11 800 points de vente disséminés dans près de 40 pays), on aurait pu douter de la perspective d'un tel démarrage dans un pays traditionnellement attaché à sa culture gastronomique. Symbole des temps des temps, Kripsy Kreme remplace Champeaux, la brasserie imaginée par Alain Ducasse, au sein de ce lieu de transit majeur qu'est le centre commercial emblématique du coeur de la capitale. Ainsi, cette ambassade de la culture culinaire américaine remplace un emblème de la gastronomie française.
Des ambitions portées par un marché en plein développement
Les ambitions de Krispy Kreme sont claires : avec un objectif de plus de 40 000 donuts fabriqués et vendus en France chaque jour, l'enseigne compte faire son trou dans l'Hexagone en misant sur l'engouement pour les pâtisseries américaines. Selon le Gira, les beignets, dont font partie les donuts, représentent désormais en France 19% de la consommation de viennoiserie. Ils talonnent ainsi de près les brioches (23%), malgré l'écrasante domination des références feuilletées (croissants, pains au chocolat... pour 50% du total). Non seulement les nouvelles générations apprécient la texture moelleuse de ces produits, mais elles sont également sensibles à l'expérience sociale dans laquelle s'inscrit cette consommation : réseaux sociaux, cercles d'amis, ... la pâtisserie et sa forme caractéristique sont devenus "tendance", ce qui développe l'attrait au delà même du goût. Un sujet que Krispy Kreme a bien intégré à sa stratégie : l'enseigne ne se contente pas de vendre des douceurs mais propose une expérience globale, avec des produits dérivés et une ambiance chaleureuse, incitant les clients à profiter des 40 places assises disponibles au sein du premier point de vente français... et à partager le moment très largement sur les supports digitaux.
Une tendance à contre-courant de l'alimentation saine et responsable
Le plan de marche est déjà écrit : portée par une joint-venture créée en 2022 avec Wagram Finances (également en charge du destin français de Colombus Café et de Copper Branch), la marque va déployer son laboratoire francilien (à Créteil, 94), 10 boutiques supplémentaires dans les prochains mois, en visant des emplacements passants, et une présence sur les plateformes de livraison début 2024. La fraicheur est au coeur du concept, qui propose 13 recettes différentes associant culture US et goûts européens... sans jamais se départir d'une approche résolument gourmande, bien éloignée des diktats d'une alimentation saine et raisonnée, ce qui prête à réflexion sur la sincérité des bonnes résolutions affichées par la population sur la transformation de ces actes quotidiens.
Sucre et gras sont inévitablement au rendez-vous de ces recettes dont le caractère réconfortant sonne presque comme une réponse à la morosité engendrée par des crises à répétition. Un plaisir qui a un coût : le doughnut classique est tarifé 2,50€ pièce, et revient à 1,65€ lors d'un achat par douzaine... soit une valorisation bien plus élevée que les viennoiseries traditionnelles françaises, demandant plus de temps et de savoir-faire pour être produites, en plus de faire appel à des matières premières onéreuses (avec le beurre au premier rang). Pourtant, la propension à payer des clients se révèle bien plus forte que celle observée chez les artisans boulangers, qui ne profitent pas de l'effet nouveauté et peuvent être, au contraire, considérés comme dépassés face à de nouvelles tendances de consommation. De quoi inspirer plus largement la filière pour renouveler son approche, sans forcément se tourner massivement vers ces produits éloignés des fondamentaux du boulanger, en misant sur la communication et le rafraichissement des gammes... pour que l'activité des artisans finisse, elle aussi, par tourner rond.